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Whatsapp, le réseau social de mon père

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Mon père est un influenceur. Il ne fait pourtant pas de pub pour des bonbons, ne bénéficie pas de code promo et n’a jamais organisé de meet-up. Pire, il n’est actif sur aucun réseau social connu comme tel. Malgré tout, il dispose d’une véritable communauté digitale, qui se montre très engagée et fidèle à ses contenus.

Confidentiel dans le domaine de l’influence mais très populaire dans celui des darons, Whatsapp est son terrain de jeu. Tout le monde connaît cette application plutôt intuitive, qui permet notamment d’échanger gratuitement en audios, visios, photos, textos, d’un bout du monde à l’autre.

Lui, il l’utilise surtout pour envoyer des vidéos et des images. Ces contenus n’ont qu’un seul et même objectif : faire rire. « Si ça fait sourire c’est déjà pas mal – précise-t-il – je reçois aussi des contenus moins drôles, plus ‘intello’, c’est parfois intéressant mais ce n’est pas comme ça que je conçois Whatsapp, je le vois plus comme une cour de récré », confie-t-il lors d’un entretien exclusif.

Sa récréation se passe juste avant le JT de 20 heures. Il se cale dans le canapé, met ses lunettes, attrape son téléphone et ouvre l’application. Pragmatique, la journée il n’utilise son téléphone que pour téléphoner. « Je pars du principe que pour s’amuser, rire, il faut un contexte. Pourtant je suis retraité, le temps et le contexte, je suis censé l’avoir mais non, sinon je passerais ma journée sur mon téléphone, comme vous. »

Il prévoit donc entre 20 et 30 minutes chaque soir pour consulter les dizaines de messages reçus dans la journée : « il y a pas mal de chaînes inutiles type ‘transfère ce message aux gens qui comptent dans ta vie’, à chaque fois je me demande qui écrit ces chaînes… »

Ces chaînes de messages sont souvent des fake news voire de réelles arnaques commerciales. Par exemple, Whatsapp et Facebook sont censés devenir payants depuis environ cinq ou six ans, Disneyland et Air France offriraient des billets pour célébrer leurs anniversaires. Dernière fake news en date, celle des Rroms en camionnette blanche, qui a menée quatre jeunes hommes devant la justice.

Dans mes transferts, j’ai une certaine ligne éditoriale

Pour limiter la propagation de ces fake news, en janvier dernier Whatsapp a mis en place une limitation dans les transferts : il n’est possible de transférer un message qu’à cinq personnes à la fois.

« De toute façon, moi je reçois surtout des vidéos, des photos plutôt drôles, je vous les transfère d’ailleurs », reprend le daron. Affirmatif. Les transferts et les notifications pleuvent tous les soirs, au point de surcharger les mémoires internes de chacun. Et pourtant, il ne nous transfère pas tout : « Je trie, bien évidemment. Il y a des trucs qui ne vous intéressent pas, des références que vous n’avez pas. En fait, dans mes transferts, j’ai une certaine ligne éditoriale, une sorte de charte morale. Je ne transfère pas tout à tout le monde, sinon ce ne serait justement pas drôle. Il faut viser les bonnes personnes, en fonction des centres d’intérêt, des cultures, etc. Par exemple, si je reçois une vidéo en arabe, je ne vais pas la transmettre à mon pote Olivier, ça ne va pas le faire rire puisqu’il ne va sûrement rien y comprendre, au contraire une blague sur les gilets jaunes ou Macron risque de ne pas être bien comprise par mon oncle qui habite en Algérie ». Logique.

Il s’agit parfois de captures d’écran photo ou vidéo de contenus trouvés Facebook ou Instagram. Dans ce cas-là, la source est transparente. Mais la plupart du temps, le contenu est directement chargé, enregistré dans le téléphone de l’expéditeur. Si les photos sont relativement simples à récupérer des réseaux sociaux, ce n’est pas le cas des vidéos, surtout pour la génération de mon père qui n’est pas née avec un iPhone 8 entre les mains.

« Souvent, je vois la vidéo sur Whatsapp avant même de la voir sur les réseaux sociaux, et pourtant je pense être clairement à jour sur les réseaux », s’étonne Ania, 20 ans. Elle ne s’en cache pas, elle est accro à Instagram. Elle consulte l’application à longueur de journée, suit des comptes très variés. Elle étudie d’ailleurs la communication à l’université : «  Parfois j’ai envie d’amener ma mère en cours pour qu’elle parle de son expérience sur Whatsapp, c’est un cas d’école, du délire et c’est un mystère surtout parce qu’elle n’a aucun réseau social ! ». Encore une.

Hocine, peintre en bâtiment le jour, influenceur la nuit

Dans le cadre de cette enquête, j’ai donc pu consulter l’historique de conversations de mon père. Les vidéos, montages photos, memes s’enchaînent. A tel point qu’il ne prend même pas le temps de répondre à certains de ses interlocuteurs. Certaines conversations ne sont que des suites de transferts. Consciente de la violence que je peux provoquer le symbole ‘Vu’, j’ai voulu en savoir plus. La réponse est claire : « Avec certaines personnes, on n’a pas besoin de se répondre, on sait qu’on s’est fait rire, on est connecté. T’entends pas, parfois Hocine m’appelle mort de rire, on préfère rire pour de vrai nous, pas en émoji ». Punchline. « Au-delà de ça, quand on reçoit beaucoup de vidéos c’est compliqué de répondre à tout le monde avec certains copains on a décidé de ne plus se répondre, on en reparle souvent donc au téléphone ou en vrai quand on se voit. »

Cela ne nous donne pas pour autant la provenance des vidéos en tant que telle. Pour comprendre, j’ai tenté de démanteler le réseau de mon père. Olivier est un ancien collègue du bâtiment. Il raconte être dans le même cas : « Je reçois des vidéos mais sincèrement je ne sais pas d’où elles viennent, c’est drôle, je ne cherche pas forcément à comprendre ». Tentons une autre piste. Plutôt que de recevoir des vidéos, Abdel transfère parfois des liens vers Instagram, Twitter, Facebook : « Ce sont des liens que je reçois tels quels. Je n’ai pas de réseau social mais on peut accéder au contenu sans avoir de compte, il faut juste une bonne connexion internet. ». A-t-il déjà téléchargé une de ces vidéos pour l’envoyer ensuite sur Whatsapp ? « Jamais, télécharger c’est mal et surtout, je ne sais pas le faire. »

Hocine fait partie des contacts privilégiés du daron, dans le sens où il est pro-actif dans le réseau Whatsapp. Il est peintre en bâtiment le jour, influenceur la nuit : « Tu peux le tourner comme ça parce que c’est stylé, mais en fait je ne consulte pas mes messages que le soir moi, c’est aussi pendant mes pauses au cours de la journée et le week-end que je suis plus actif. »

Hocine a Facebook. Il n’a par contre jamais rien extrait de ce réseau. « Mais, tiens le contact d’un pote du chantier, je crois qu’il le fait ». Le pote en question s’appelle Moussa, il est plus jeune, la quarantaine. Il est actif sur tous les réseaux sociaux. « Je ne poste jamais rien mais je follow plein de comptes, je regarde ce qui se fait ailleurs et c’est vrai que parfois je télécharge certaines vidéos. » Enfin ! « Ce n’est pas si compliqué, j’avais téléchargé une application de téléchargement et il suffit de copier-coller le lien de la vidéo pour l’avoir dans mon téléphone. » Pourquoi cette nécessité de l’avoir dans son téléphone ? « Parce que je voulais l’envoyer à des amis qui n’avaient pas Instagram et ça se transfère mieux quand on l’a dans son téléphone, depuis j’ai pris l’habitude. »

Le mystère semble être levé. Hocine précise qu’il a déjà reçu des vidéos dont la source était claire : « Je pense à une vidéo en particulier, elle venait du bled et en fait c’était des amis d’amis qui s’étaient filmés sur un chantier. Je ne la retrouve pas mais je te jure que c’était drôle, ils dansaient une danse traditionnelle sur du Johnny Hallyday en bleu de travail. Et voilà, j’ai reçu ce truc qui avait été filmé quelques minutes avant. Je l’ai transféré à tout mon réseau, et ça a fait effet boule de neige puisque je l’ai ensuite reçu de nouveau par d’autres gens. »

La définition du réseau social est claire, il s’agit d’un site internet qui permet aux internautes de se créer une page personnelle afin de partager et d’échanger des informations avec leur communauté. Whatsapp n’est pas conçu comme un réseau social à la base. Il s’agit plutôt d’une plateforme d’échange instantané mais en l’utilisant comme tel, toute une génération s’est créée son propre réseau, un réseau très social. Comme quoi, quand on décide d’être sociable, tous les moyens sont bons.

Sarah ICHOU

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« Je me sens arnaqué » : les lycéens désorientés après le bug de Parcoursup

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« Bienvenu dans cette nouvelle saison de Parcoursup, la revanche des étudiants ! Dans cette saison pleine de rebondissements, entre amour et trahison, voeux acceptés et finalement non, les étudiants feront tout pour être au moins 1000ème dans leur rang. »

« J’ai vraiment aimé le voyage. Le départ en janvier était confortable, cocooning à souhait. (…) mais alors depuis deux jours c’est n’importe quoi, j’ai appris que je devais quitter l’hôtel car “je ne suis pas accepté”, on m’a mis en attente dans tous les hôtels de la ville, et on m’a refusé dans un. Je suis déçu. Je demande le remboursement. »

Voici le type de commentaires que nous pouvons retrouver dans la rubrique « avis » de l’application (officielle) Parcoursup, la plateforme d’orientation post-bac.

Les premiers résultats d’admission étaient prévus ce 15 mai dernier. Comme à chaque fois qu’on demande à des milliers de personnes de se connecter sur le même serveur, à la même heure (19h en l’occurrence), on s’attend à des ralentissements de connexion, des pages blanches, un besoin de se connecter à plusieurs reprises… des soucis techniques classiques en somme.

« Déjà à la base, c’est stressant parce qu’on parle de notre orientation, de notre avenir, pas de l’équipe qu’on va choisir à Fifa », résume Zak, lycéen de terminale à Bondy. « Mais les bugs ça rend encore plus fou parce que tu es seul face à ton ordi ou ton téléphone. Quand le suspens dure plus longtemps que prévu, tu as juste envie de jeter ton téléphone par la fenêtre », complète-t-il.

Finalement, ce mercredi 15 mai, il n’a pas été nécessaire de se mettre dans de tels états. Au contraire, beaucoup d’élèves se sont montrés agréablement surpris au vue des réponses plutôt positives qui pleuvaient. « L’année dernière, sur les réseaux sociaux, dans les médias, autour de moi, j’avais entendu dire que Parcoursup c’était une galère, qu’on restait en liste d’attente jusqu’au bout etc. J’étais donc plutôt content mercredi », raconte Cheikh, également lycéen à Bondy. Il passe un bac STMG à Jean-Renoir mais habite Noisy-le-Sec. L’année prochaine, il rêve d’intégrer un BTS en commerce international. Il est particulièrement intéressé par celui de Suresnes, dans les Hauts-de-Seine. Ce n’est pas la porte à côté mais c’est son souhait qui semble prendre forme mercredi soir : « Je me connecte et je me rends compte que je suis accepté dans cette formation. Tu ne peux pas imaginer à quel point j’étais dosé, c’était la formation que je voulais le plus et la seule qui m’acceptait. »

Houston, we have a problem

Pour acter l’admission, il faut que le candidat valide le choix proposé. C’est ce que Cheikh a tenté de faire : « Franchement, j’ai même pas réfléchi, j’ai voulu valider immédiatement. Enfin si, j’avais réfléchi avant au moment de choisir mon orientation. Là j’étais trop content, tout ce que je voulais c’était en finir. » Et finalement, c’est là que le jeune homme réalise qu’il y a un souci : il lui est impossible de valider. Au début, il pense que c’est dû au nombre de connexions simultanées. Sauf qu’il n’y parvient pas dans les jours qui suivent. Dès le lendemain, en discutant avec des camarades de classe, il comprendra qu’il y a un problème.

Parcoursup a communiqué, vendredi, sur la situation.

Yanis, lui, vient du Blanc-Mesnil. Il a 17 ans et cette année, il passe un bac gestion-administration au lycée Jean-Moulin, dans sa ville. L’année prochaine, il espère faire de la gestion de PME en BTS, au lycée Voillaume d’Aulnay-sous-bois.

Comme beaucoup de lycéens, dans sa classe il y a un groupe Whatsapp qui leur permet de discuter après les cours, d’être au point sur les dates de contrôles, les absences des profs etc. Dès la connaissance des résultats Parcoursup, toute sa classe se rue sur le groupe pour crier sa joie. Sauf que celle-ci ne durera pas longtemps : « En fait, on était nombreux à avoir demandé ce même BTS et on s’est rendu compte qu’on y était quasiment tous acceptés, au moins une dizaine dans ma classe. Sauf qu’on sait qu’il n’y a qu’une classe dans cette filière, donc que seuls 35 élèves max peuvent être acceptés. On réalise donc immédiatement qu’il y a un problème, qu’on ne pourra pas tous y aller. » Bonne déduction puisqu’ils se retrouvent finalement tous en liste d’attente, eux aussi.

Sabry est devenu un habitué. Il a 20 ans, a eu son bac en juin 2017. Il aura assisté à l’enterrement d’APB, à la naissance de Parcoursup et à cet énième bug cette année. La première année, il fait une licence en éco-gestion à Paris 8. Comme beaucoup, il se trompe, se rend compte que la filière l’intéresse mais la liberté permise par l’université ne lui convient pas. L’année suivante, il passe donc par Parcoursup et trouve une formation en alternance. Sauf qu’il faut qu’il trouve une entreprise pour faire entre juin et août : « Qui trouve un patron à ce moment-là ? Tout le monde est en vacances ! » Lui, il n’en prendra pas cette année-là. Il ne trouve pas, une formation de substitution lui est attribuée : un DUT GEA, à Saint-Denis toujours. Ça ne lui correspond pas. Cette année, il a demandé des BTS. Le même que Cheikh en commerce international. Comme Cheikh, il a eu un faux espoir et se retrouve en liste d’attente. Cheikh est 300e, Sabry est 200e : « Je me sens arnaqué, je suis passé du statut ‘accepté’ à 200e, ascenseur émotionnel de folie. »

La motivation a pris un gros coup, on ne va pas se mentir

Nous avons pu discuter avec des mamans. Celle de Zak se dit « dépassée » par toute cette procédure : « On fait en sorte de comprendre les processus, les logiciels, on va à des réunions, on s’informe, on essaye de suivre nos enfants mais on est impuissants face à tout ça. On peut faire le job de notre côté, les encourager à travailler, à réviser mais si on les décourage comme ça de l’autre côté… »

L’année de Terminale est une année stressante, entre l’orientation post-bac et le bac en lui-même. Nous sommes aujourd’hui à moins d’un mois des premières épreuves écrites du bac. Le stress est palpable, la motivation l’est moins visiblement : « Quand tu sais que tu es pris dans le BTS que tu voulais absolument, forcément ça motive à avoir son bac, confirme Yanis. Là, après  tout ça, la motivation a pris un gros coup, on ne va pas se mentir, on a l’impression de travailler dans le vent. »

Parcoursup se dit disponible par téléphone pour répondre aux questions des étudiants. Sabry a effectivement réussi à les joindre. « C’est cool mais ça ne règle pas le problème, moi je veux savoir si je vais avoir une école l’année prochaine. » A l’heure qu’il est, les élèves en liste d’attente… attendent et actualisent plusieurs centaines de fois par jour la page d’accueil de Parcoursup. Il ne nous reste plus qu’à leur souhaiter bon courage et beaucoup de patience dans ce parcours du combattant.

Sarah ICHOU

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Chahid, le gamin de Bordeaux au service des Rohingyas

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« J’ai toujours eu du mal avec les injustices et les inégalités. Petit déjà, je pouvais m’embrouiller si tu n’avais pas le même nombre de bonbons que moi. » Chahid a maintenant 27 ans. Il ne s’embrouille plus pour des bonbons mais sa lutte contre les injustices et les inégalités n’a pas bougé.

Son combat quotidien depuis plus de deux ans : les Rohingyas. « C’est la plus grande injustice au monde », lance-t-il lors de notre rencontre dans les locaux du collectif Hameb (Halte au massacre en Birmanie), dans lequel il est engagé. Il est question d’un peuple musulman issu d’Asie du Sud. L’ONU considère qu’il s’agit aujourd’hui de la communauté la plus persécutée au monde. Et leur défense est devenue le mantra de Chahid, qui le partage avec son millier d’abonnés sur les réseaux sociaux.

Pour comprendre l’engagement de Chahid, il faut remonter le temps. L’aîné d’une fratrie de quatre enfants a grandi à Bordeaux, « entre la campagne et la street ». La campagne parce qu’il y a habité jusqu’à ses 10 ans. La street, et plus particulièrement dans le quartier de Lormont, parce qu’il y a grandi, étudié, travaillé. D’ailleurs, il raconte qu’il est encore entre ces deux univers : « Je suis un campagnard de la street, sourit-il. Par exemple, j’ai deux poneys en ce moment chez moi, ça choque tous mes potes mais moi ça me fait kiffer, et ça fait surtout kiffer ma petite sœur. ». Son enfance tourne essentiellement autour du foot et de l’école – « le foot prenait même le dessus, je pensais foot, je rêvais foot, je vivais foot ». Jusqu’au jour où il se rend compte qu’il n’en fera pas son métier. Alors, il passe un bac pro vente, s’inscrit en licence LEA (langues étrangères appliquées) en anglais et espagnol. Ça ne lui plaît pas, il a besoin d’être plus cadré. Il intègre alors un BTS privé en commerce international. Ça ne lui plaît toujours pas. Il n’ira pas au bout et se lance dans le monde du travail.

Il a 20 ans et des projets plein la tête, dont un de taille : son mariage. Il enchaîne alors les jobs ; « je ne sais même plus par quoi j’ai commencé, tellement j’en ai fait. » Dans le désordre, donc : électricien, préparateur de commandes, livreur, plombier, « j’ai aussi travaillé dans les vignes bordelaises. »

Mon premier voyage, c’est un tour du monde

Il travaille pour se lancer dans la vie active, anticiper les contraintes d’un foyer mais aussi pour financer sa lune de miel. Chahid raconte qu’à ce moment-là de sa vie, il n’a encore jamais voyagé. Il y a bien le Maroc, le pays dont sont originaires ses parents « mais je ne le compte pas, on y allait en voiture depuis que j’étais petit. Je n’avais jamais pris l’avion. »

Finalement, son mariage a été annulé. Sauf que Chahid avait déjà pris quelques billets. Au pluriel parce qu’il avait vu grand. Il n’était pas question d’une seule destination mais bel et bien d’un tour du monde. Les billets sont nominatifs, l’éventuel grand départ approche. Après une longue phase de réflexion et de remise en question, il décide finalement de partir seul. « La veille du grand départ, forcément j’étais entre l’excitation et la peur parce que je fonçais dans l’inconnu. Sans compter que je parlais très très mal anglais. » A l’époque, Chahid est totalement déconnecté des réseaux sociaux, « j’étais très loin de cette ‘mode’ du voyage, je ne connaissais personne physiquement ou virtuellement qui avait tenté cette aventure. »

C’est pour cela qu’autour de lui, la démarche est considérée comme inédite. Il raconte qu’il n’a pas été simple de convaincre sa famille, d’expliquer le concept à ses amis.

Avec son sac à dos, il démarre donc son périple en Europe du Nord à Copenhague, il file ensuite aux Etats-Unis : Las Vegas, San Francisco, Los Angeles. Puis Hawaii, une destination qui l’impressionne pour ses paysages, sa flore. Il raconte « renouer » avec la nature : « je tombe clairement amoureux de certains paysages et surtout je me rends compte que les gens viennent hyper facilement vers moi. C’est bizarre mais à ce stade du voyage j’ai vraiment l’impression de me découvrir, j’ai l’impression d’avoir une vraie vocation pour le voyage, pour l’autre », constate-t-il timidement.

Pour visiter chaque pays et s’imprégner de sa culture, il se note à chaque fois quelques lieux emblématiques à visiter puis se laisse porter par la ville, par les gens : « je prévoyais de ne surtout rien prévoir. » Il se documente sur internet, fait du couchsurfing, arpente les marchés « j’adore les marchés, on y rencontre du monde et je trouve que ça dit beaucoup d’une ville, d’une culture. »

Il passe ensuite par l’Australie avant d’arriver en Asie, en Malaisie, son véritable coup de foudre : « J’ai pris une énorme claque. Je n’étais pas prêt. Le paysage, les gens, tout était magnifique. Etant de confession musulmane, je découvre à ce moment-là une nouvelle facette de ma religion, avec un peuple hyper accueillant, hyper souriant, hyper optimiste. »

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Dieu ne te donne pas plus que ce que tu ne peux porter .. mais ce que tu peux porter TU DOIS le porter ! – – Voilà c’est la fin de cette mission Ramadan 2019. Objectif : -100 tonnes de colis alimentaires distribué ✅. – Merci à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à cette opération ceux qui ont donné de leurs argent, de leurs temps qui ont eu une prière ou même une pensée pour les Rohingyas. – Merci à tous ceux que j’ai harcelé avec les pulls ou tee shirt ( toujours dispo d’ailleurs 😉 ) et qui ont répondu présent ! – Merci à mes 2 capitaines @mohamedkohlanta @chrysler75 et toute la team @collectif.hameb X JVM merci à notre docteur @yacine.germany, notre réalisateur @hadjalimenad 🇩🇿 – Merci à @moussabanistreet de nous avoir ouvert la porte de son école ! Que dieu t’accompagne dans tout tes projets mon frère. – Merci à mes parents qui m’ont encore une fois laissé partir à contre cœur, pardon et merci pour leurs patience et leurs prières. – Voilà la Oumaxx bonne fin de ramadan à tous les concernés. BANGERING 💥 – – #machallahlasolidarite #freerohingya #bangladesh #bengali #humanity #freeRohingya #solidarity #justice #children #coxsbazar #oneyearslater #muslim #nothingchange #help #tiersmonde #thanksgod #alhamdulillah #humanitarian #mission #solidarity #hameb #smile #foodpackaging #family #orphelin #orphan #asia #ramadan #thanksgod #alhamdulillah ♥️🙏🏽🌍✌🏽

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Son engagement humanitaire arrive à ce moment-là. Il visite la célèbre mosquée sur l’eau de Putrajaya. Pour garder un souvenir, il demande automatiquement à quelqu’un de le prendre en photo.

Une première distribution clandestine, l’armée et la prison

Comme souvent après ce type de photos, le voilà parti dans une grande discussion. Cette fois, son interlocuteur lui explique qu’il est birman, rohingya, qu’il a quitté sa famille et sa région pour faire ses études à Rangoon. Il a monté son entreprise, se dit à l’aise financièrement. Tout va plus ou moins bien, mieux, pour lui mais il ne peut plus retourner voir sa famille. Ce serait un aller sans retour. Chahid connaît encore peu de choses au sujet de cette communauté : « tout ce que je savais c’est qu’ils avaient des difficultés avec l’Etat, qu’ils étaient enfermés dans des camps ». Il lui pose donc beaucoup de questions mais son nouvel ami est plutôt pressé. Il lui file sa carte et lui propose de passer boire un café chez lui pour en discuter davantage. Il aura fallu plusieurs cafés pour comprendre la complexité de la situation, de l’histoire des Rohingyas. Cette histoire bouleverse notre globe-trotter : « cette rencontre a clairement changé ma vie, ça ne m’a plus jamais quitté. A partir de là j’ai voulu en savoir encore plus, faire quelque chose pour ces gens. »

Sauf qu’il a rendez-vous avec ses potes de Lormont en Thaïlande. Ils avaient prévu de s’y retrouver à la moitié de son tour du monde de quatre mois. S’il était, au départ, excité de retrouver ses amis d’enfance, le jeune homme n’a plus la tête à faire la fête. Son séjour à Pukhet ne durera finalement que trois jours : « depuis ma discussion avec le Rohingya, ça me trottait trop en tête, je m’étais documenté sur internet, j’étais halluciné. Je ne pouvais pas profiter de mes vacances farniente comme si de rien n’était. »

Le voilà donc de retour à Rangoon. Ses amis bordelais le prennent pour un fou « mais depuis que j’étais parti en sac à dos du quartier, ils me prenaient pour un fou donc bon… » Son ami lui explique alors comment la résistance s’organise. Chahid insiste pour se rendre dans les camps. L’ami en question n’est pas tellement pour. Après dix jours d’âpres négociations, il le laisse finalement partir. Il fait le voyage de manière totalement clandestine, à l’arrière d’un camion, entre des sacs de riz. « A ce moment-là évidemment qu’on a peur mais la curiosité prend le dessus. Il ne faut pas oublier que j’étais dans l’aventure depuis 2-3 mois. J’avais escaladé des volcans, visité des grottes, donc je commençais à avoir l’habitude d’avoir peur. Mais c’était surtout la première fois que j’avais une sensibilité envers une vraie cause. »

Une fois arrivé, avec une association locale, il escalade des barbelés et distribue des colis humanitaires entre trois et huit heures du matin : « C’était court mais j’ai pu comprendre en quelques heures ce que mon ami m’expliquait depuis plusieurs semaines, à quel point ce peuple est traité comme des animaux. »

Ils se feront finalement braquer par l’armée. Chahid a le réflexe de montrer son passeport français au moment de l’arrestation : « Je ne sais pas pourquoi j’ai eu ce réflexe et c’est triste mais je pense qu’il m’a sauvé la vie, pour eux c’est moyen de tuer un français. » Chahid sera mis en prison pendant trois jours. Ses camarades, issus de l’association locale, sont toujours en prison, plus de deux ans après cet événement.

Tu ne peux pas reprendre le cours de ta vie comme si tu revenais de Thaïlande

A Rangoon, il reprend son tour du monde qu’il écourte : « Après ce qui m’est arrivé j’avoue que je n’ai qu’une hâte : retrouver mes proches. D’ailleurs, à l’heure qu’il est, ils ne sont pas au courant de cette histoire d’arrestation. Déjà que c’est compliqué de les convaincre de partir, encore aujourd’hui, s’ils le savent je suis mort. S’ils lisent cet article, je suis cuit. » Avant de rentrer, Chahid passe par l’Inde, « ce n’était pas le pays le plus évident à faire là aussi, c’est hyper éprouvant psychologiquement parlant. » Il passera ensuite par la péninsule arabique, Abu Dhabi, Dubaï, puis Istanbul et enfin Paris.

En rentrant, Chahid est encore sous le choc et éprouve le besoin de s’engager pour la cause rohingya. « Tu ne peux pas rentrer et enchaîner, reprendre le cours de ta vie comme si tu revenais de Thaïlande. Non, tu as vu des trucs de ouf, tu sais ce qu’il s’y passe et tout ce que tu as envie de faire c’est en parler avec des gens, alerter tout le monde. » Il rejoint alors le collectif Hameb qui se présente comme une association qui défend les droits de ces minorités délaissées par la communauté internationale et « s’efforce d’être leur porte-parole pour exiger que justice soit faite. »

Aujourd’hui, Chahid travaille dans la sécurité ferroviaire. « Je ne travaille que pour coffrer et repartir en voyage », assume-t-il. Il se dit « piqué de voyages. » Par principe, il a refait la Thaïlande avec ses potes, mais aussi les Maldives, le Mexique, le Brésil et le Bangladesh, dans les camps des Rohingyas.

Depuis deux ans, son quotidien est rythmé par des allers-retours entre Bordeaux et Paris. Il est responsable de la cellule bordelaise du collectif Hameb. Il « monte » régulièrement à Paris pour récupérer de la marchandise à savoir des pulls, des t-shirt réalisés par le collectif, avec l’inscription ‘Free Rohingyas’. L’objectif : les vendre pour récolter des fonds « pour intervenir au maximum là où il y a le plus besoin et actuellement c’est au Bangladesh. »

La cité nous apprend la solidarité

Il fait aussi beaucoup de sensibilisation : « Autour de moi, via mes réseaux mais avec le collectif on essaye aussi d’être hyper présent sur les réseaux Hameb. On est peu dans les médias classiques, on nous invite quand il y a un énorme drame mais c’est assez ponctuel alors que leur drame est quotidien finalement. »

« Les allers-retours à Paris, arpenter sa région pour livrer des pulls, participer à des événements pour sensibiliser à la cause, être actif sur les réseaux, c’est du temps, des sacrifices mais j’en ai besoin, confie-t-il. Le plus gros sacrifice, je pense, c’est ma famille. Je me rends compte que je vois, par exemple, ma petite soeur de sept ans une fois tous les deux mois, parfois j’ai l’impression de ne pas la voir grandir mais c’est comme ça. »

Dernière grosse opération en date : la vente de sweats pour aider les Rohingyas à vivre leur mois de ramadan dans de meilleures conditions. Le pull est vendu 25 euros, soit le prix d’un colis pour une famille, pendant un mois.

L’opération fonctionne très bien mais la veille de son départ, Chahid se rend compte qu’il lui reste des sweats « et surtout que les mecs de quartiers ne s’étaient pas mobilisés. Il y avait une belle mobilisation du côté des filles mais pas assez à mon sens chez les gars. » Chahid les provoque donc sur ses réseaux sociaux en formulant ce constat en story : « Le lendemain, tous mes potes d’enfance, du quartier m’ont contacté pour que je leur amène des pulls. Je suis arrivé, j’ai ouvert le coffre et finalement ils ont pris tout le stock. C’est bizarre hein, mais j’étais hyper fier, fier qu’ils montrent et concrétisent ce soutien, cette force qu’ils me donnent depuis le début. »

Pour Chahid, solidarité et quartiers populaires vont de pair : « La cité nous apprend la solidarité. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’humanitaires viennent de quartiers populaires finalement. Au Bangladesh, il y a beaucoup de mecs de quartiers, idem dans notre association. Il y a un lien quasi évident entre la soif de justice sociale, d’égalité et nos quartiers. »

Sarah ICHOU

Crédit photo : Instagram @chahidbhl

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FC musulman vs FC chrétien, la Ligue des champions bondynoise

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Ils ont entre 14 et 16 ans et habitent Bondy nord. Lorsqu’ils n’ont pas cours, ils tapent le ballon. Avec la main ou le pied, en fonction du terrain, en fonction du moment. Ce n’est plus un secret pour personne, ici et comme dans beaucoup de quartiers, le foot constitue une véritable tradition, transmise de génération en génération : « C’est le sport qui réunit tout le monde », lance Jérémie, qui pratique aussi du handball en club. « En fait, on peut faire d’autres sports à côté mais le foot c’est la base. Quand on n’a rien à faire, on propose un foot et ça met tout le monde d’accord, tu ne peux pas en avoir marre. » Confirmation immédiate de Keluxe, basketteur à ses heures perdues : « Le foot, c’est un sport qui attire tout le monde parce que c’est simple d’organiser un match et puis faut dire qu’à Bondy, on a de beaux exemples de réussites dans ce domaine-là. »

Depuis la semaine dernière, Keluxe et Jérémie appartiennent à la même équipe de foot : le FC chrétien, « au début on parlait d’AS chrétien mais pour plus d’égalité avec l’autre équipe on a changé notre nom. » L’autre équipe c’est le FC musulman. Des clubs totalement inconnus à la FFF (Fédération Française de Football, ndlr) mais certifiés par la street.

Ils s’appellent Djibril, Bocar, Jérémie, Daniel, Keluxe, Souleymane, Yani, Ali, Samuel, David, Erwan, Frejus, Aziz, Ayoub, Malick, Noam, Keurtys et Alex. S’ils sont considérés comme adversaires sur le terrain, ils sont tous très potes au quotidien : « On se connaît depuis toujours, la preuve, la plupart de nos souvenirs d’enfance sont communs » raconte Djibril, milieu de terrain du FC musulman. Toute la petite bande réunie au BB cet après-midi là acquiesce. Jérémie poursuit : « On n’est même pas des potes, on est des frères. »

L’idée d’opposer le FC chrétien au FC musulman naît la semaine dernière. Un peu partout, la CAN des quartiers est organisée : « On voulait faire un truc qui rassemblait du monde mais on ne voulait pas copier la CAN, c’est un concept mortel mais on voulait tenter autre chose, ne pas faire comme tout le monde. »

Je ne sais pas comment j’en suis arrivé à cette idée, c’était comme une révélation

L’illumination survient mercredi soir dernier, chez Bocar : « J’étais chez moi et c’était le moment de rompre le jeûne. L’appel à la prière retentissait à la radio et la télé diffusait un reportage sur les chrétiens. Je me suis dit qu’autour de moi on était tout ça réuni, qu’il y avait autant de musulmans que de chrétiens. Bref, je ne sais pas exactement comment j’en suis arrivé à cette idée mais c’était comme une révélation »,  sourit-il.

Bocar envoie donc un message à Jérémie puis au reste du groupe. Le principe plaît tout de suite. Ils s’organisent rapidement. Le rendez-vous est fixé au « But en or », un city stade aussi connu sous le nom de « terrain rouge », tout simplement parce que pendant longtemps c’était un terrain recouvert de terre rouge. Bocar est naturellement nommé capitaine du FC musulman et Jérémie capitaine du FC chrétien. Les équipes se constituent de manière aussi spontanée. Les critères de sélection sont clairs : il faut se reconnaître dans l’une des deux religions, habiter le coin et être dispo le jour du match.

Et voilà que les 10 joueurs par équipe sont trouvés, 8 sur le terrain, 2 remplaçants. Un premier match est organisé dès le lendemain, le jeudi 23 mai, après les cours. La question de l’arbitrage se pose, forcément. Finalement, ce sera Dylan. Il a 23 ans et coache une équipe de foot de l’AS Bondy. Ce jour-là, il s’est retrouvé à arbitrer ce premier match. « Il est chrétien mais c’est un arbitre hyper juste. La preuve, on a perdu. Il nous avait prévenu que pendant le match il serait athée », explique Jérémie, capitaine du FC chrétien.

Le match se passe bien, surtout pour le FC musulman qui le gagne. Solidaires à leurs adversaires, les chrétiens ont pris la décision de ne pas boire d’eau au cours du match. A l’issue de celui-ci une rupture du jeûne collective est organisée. Au quartier, la nouvelle tourne, les vidéos aussi. L’idée plaît.

Le match retour est alors organisé 48h plus tard, le samedi 25. Même lieu, mêmes équipes, mais avec des coachs et plus de supporters. Les coachs, ce sont les grands frères du quartier. Ils sont deux, trois à encadrer les équipes. Parmi eux, Daniel, coach du FC chrétien. Il a 17 ans et c’est aussi le véritable grand frère de Jérémie. « Notre rôle ? On leur donne quelques conseils tactiques mais on est surtout là pour s’assurer que tout se passe bien. » Samedi dernier, tout s’est justement bien passé. L’équipe de Jérémie s’est encore inclinée face celle de Bocar. « Samedi, c’était surréaliste quand on y repense »  se rappelle Djibril, milieu de terrain au FC musulman. Il est vrai qu’au delà du jeu, les entrées sur le terrain, les célébrations, les chants de supporters étaient particulièrement inédits :

« Jésus ! Jésus ! Jésus ! »

Les vidéos sont rapidement relayées partout. Jusqu’à samedi, Bakary comptabilisait un total de 100 vues maximum par story sur Snapchat. Depuis ce match, les ajouts pleuvent et ses stories sont vues par plus de 2 000 personnes. Ses vidéos sont exportées sur d’autres téléphones, d’autres réseaux, « moi je n’ai que Snapchat à la base mais je sais que les vidéos ont aussi fini sur Twitter, Instagram, Facebook et même Whatsapp. »

Des parodies ont alors vu le jour, des rappeurs comme Booba ou Niska ont relayé, liké ces contenus. Pour les gamins de Bondy, forcément « ça fait plaisir », lance l’un d’eux, « mais ça ne change rien à nos vies, certains potes nous vannent, nous disent qu’on est devenus des petites stars mais pas du tout » rebondit Bocar.

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Un bien beau match ! ⚽️ #lacrem #lacrem1

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« J’aimerais ajouter un truc aussi, sur les réseaux j’ai vu plein de commentaires qui disent qu’on divise les gens, qu’on est communautaires ou je sais pas quoi… mais alors là, pas du tout. A ces gens-là, venez à Bondy nord. Ici, c’est une grand famille. Si on s’opposait vraiment on se taperait dessus à la fin des matchs. Au contraire, à la fin on mange ensemble, on se félicite mutuellement, on fait ça pour passer le temps » s’exclame Jérémie.

Son frère, Daniel poursuit : « Non, ça ne divise pas, ça nous rassemble. Ce genre d’événements nous permet de ne pas galérer, de réunir des amis qui s’étaient un peu perdus, des jeunes qui ont un peu sombré, qui ont pris un mauvais chemin, qui ont arrêté l’école etc, là on les ramène avec nous. Traîner avec ses amis, c’est se donner de la force et s’encourager à tenir le bon bout en fait, dès qu’il y en a un qui dévie on le ramène sur le droit chemin en tous cas on essaye. Le foot sert aussi à ça. »

Ils avaient prévu de stopper le concept dès le coup de sifflet du match retour, c’est-à-dire samedi dernier, « parce qu’il faut savoir s’arrêter quand il faut ». Victimes de leur succès un troisième et dernier match est organisé ce samedi soir. Toujours au But en or. Toujours avec les mêmes joueurs. Toujours dans le même esprit de partage et de bonne humeur.

Sarah ICHOU.

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Idriss, 19 ans, gazé, coursé, menotté, frappé, insulté

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Pour beaucoup, le dimanche, c’est foot. Ce 19 mai était donc un dimanche comme les autres à Levallois-Perret, à ceci près qu’il y avait là l’effervescence des grands matches, ceux auxquels tout le quartier est présent. C’était la CAN des quartiers, comme un peu partout en Ile-de-France. L’affiche était pas mal, en plus : Maroc – Côte d’Ivoire, le tout au stade Didier-Drogba, du nom de l’ancienne légende ivoirienne qui a lancé sa carrière à Levallois.

Comme partout, cela devait être l’occasion d’une belle fête, dans un esprit bon enfant, avec du spectacle et de l’ambiance. Oui, mais voilà. Cette fois, le match a dégénéré. L’arbitre a sifflé un penalty dans les derniers instants, les esprits se sont échauffés. Après plusieurs minutes d’agitation, le calme serait revenu tout seul. La police arrive ensuite pour disperser tout ce petit monde. Et voilà que les violences reprennent de plus belle, cette fois entre jeunes et policiers.

Sur le trottoir, un policier lance une grenade de désencerclement. La dispersion qui était en marche devient alors une cohue désordonnée. « On courait dans tous les sens, on n’y voyait rien, c’était en pleine route, il y avait des voitures, des enfants au milieu de cette centaine de personnes, c’était hyper dangereux. » Celui qui raconte s’appelle Idriss, il a 19 ans. Il est livreur pour un restaurant et habite le quartier Youri-Gagarine, un des rares quartiers populaires de Levallois.

Des policiers, des jeunes qui courent…

Idriss finit par rentrer au quartier. Il y a retrouve quelques amis, avec qui il discute de ce qu’il vient de se dérouler. C’est encore tout frais mais ils en parlent déjà au passé. La pression retombe doucement. Dix ou quinze minutes se sont écoulées depuis la dispersion. Et puis, Idriss s’apprête à rentrer quand deux voitures de police arrivent en fonçant. « Avec mes potes on s’est immédiatement dit : ‘si c’est pour nous, on court’. On n’avait rien à se reprocher mais on savait qu’ils n’avaient attrapé personne, qu’ils voulaient se venger. Ils étaient hyper agressifs, roulaient très vite et très brusquement. Bref, on ne s’est pas trompé : ils se sont arrêtés pile devant nous. Alors on a couru. Moi, malheureusement, je me suis fait attraper. »

Liam* est un « grand », comme on dit, un de ces grands frères dont la voix porte au quartier. Au lendemain du match, il a tweeté sa colère. C’est comme ça que nous l’avons contacté. Il nous raconte que la plupart des jeunes qui disputaient ce match, il les a vu grandir. Au moment de l’interpellation, Liam était à son balcon. Il voit Idriss courir, se faire attraper, prendre un coup et tomber KO. « Ils l’ont tout de suite menotté alors qu’il était en détresse respiratoire, sur le dos. Normalement, quand tu vois qu’une personne ne respire pas tu le mets en PLS (position latérale de sécurité, ndlr), tu lui enlèves les menottes… C’est la base du premier secours. »

Autour d’Idriss, un petit groupe se forme. Des garçons, des filles du quartier. La plupart dégainent leurs smartphones et la scène arrive vite sur les réseaux sociaux. « Un excellent réflexe » d’après Amal Bentounsi, fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine » : « C’est exactement ce qu’il faut faire : filmer, diffuser, relayer, d’autant que c’est dans nos droits. »

Sans ces images, je ne suis pas sûr qu’on m’aurait cru

Les personnes qui filment sont de nouveau gazées. Pendant ce temps-là, Idriss est au sol. Il respire très mal et perd connaissance : « C’est flou dans mon esprit mais je sais que je me suis laissé faire, je ne me suis pas débattu. Je savais que c’était peine perdue face aux quatre policiers. Par contre, ce dont je me souviens, c’est que ma tête a frappé fort le sol. J’ai convulsé et la suite, je l’ai vue en vidéo. D’ailleurs, je remercie les personnes qui ont filmé. C’est un peu humiliant pour moi d’apparaître comme ça publiquement parce que je suis dans une situation de faiblesse mais sans ces images, je ne suis pas sûr qu’on m’aurait cru. »

Liam poursuit son récit. « Ensuite, il a été traîné sur une cinquantaine de mètres, jusqu’à la fourgonnette. » Dans la voiture, Idriss reprend connaissance : « Dès que j’ai repris mes esprits, je leur ai demandé pourquoi est-ce qu’ils avaient fait ça, pourquoi ils avaient été si violents. Ils m’ont répondu ‘ferme ta gueule’ et m’ont menacé de recommencer. Alors j’ai préféré me taire, ça ne servait à rien de parler avec eux. »

Direction le commissariat de Levallois, sans escale ni détour par l’hôpital. On lui propose de voir un médecin présent au commissariat. Il accepte : « J’avais repris conscience mais je ne me sentais pas au top de ma forme. » Une chute de sa glycémie est détectée. On lui prescrit donc un verre d’eau sucrée. Alors qu’Idriss a jeûné toute la journée, on lui donne finalement dans la soirée une brique de jus et quelques biscuits en guise de repas.

Il est alors placé en garde à vue pour outrage à agent. Textuellement, un outrage est « un acte commis à l’égard d’une personne chargée d’une mission de service public, en lien avec ses missions, et qui nuit à la dignité ou au respect dû à sa fonction. »

Idriss reconnaît avoir « haussé le ton » face à une policière : « C’était au moment où ils ont lancé une bombe lacrymo mais c’est tout, je pense que c’est par rapport à ça qu’ils ont sorti l’outrage mais c’est tout. » Pour confronter les points de vue, nous avons contacté le commissariat de Levallois, le parquet de Nanterre et la DTSP (direction territoriale de la sécurité de proximité, ndlr). Personne n’a souhaité répondre à nos questions.

Nous avons donc discuté avec l’UNSA, un syndicat policier. Là encore, refus catégorique de commenter l’affaire. Alors, à défaut, on a essayé de comprendre ce qu’est l’outrage et si, finalement, ce n’était pas un bon motif fourre-tout pour justifier de certaines interpellations un peu chevaleresques. Réponse du syndicat : « Ce n’est pas nous qui qualifions l’outrage, il est en vertu du code pénal. A partir du moment où on considère qu’il y a outrage, on procède à l’interpellation des personnes. Oui, c’est sur la base d’un jugement mais dans la vie, le jugement est pour tout. L’interpellation ne se fait pas arbitrairement. Elle se fait parce que les gens sont en infraction. Ce n’est pas le fonctionnaire qui interprète une situation mais la personne qui se met en difficulté et qui prend la liberté de commettre un crime ou un délit. »

Je n’appelle pas ça une arrestation mais une agression

Idriss est donc placé en garde à vue sauf que sa famille n’est pas au courant. Etant majeur, l’appel à sa famille n’est pas automatique. « Je ne leur ai pas demandé non plus, reconnaît-il. Quand on t’ordonne de fermer ta gueule, tu essayes de te faire tout petit en fait. »  Sauf que les vidéos de son interpellation se propagent très rapidement sur les réseaux. Sa famille est informée, sa maman s’inquiète. Ni une, ni deux, la voici au commissariat. Une première fois avec les deux petites soeurs d’Idriss. On lui explique qu’elle ne pourra pas voir son fils. Elle ne sait pas s’il est à l’hôpital ou au commissariat. Elle ne sait pas ce qu’il s’est véritablement passé. Elle veut voir son fils. On lui refuse. Elle rentre donc chez elle puis y retourne de nouveau dans la soirée avec Dany*, le cousin, considéré comme le grand frère d’Idriss : « Cette histoire est surréaliste. Moi je n’appelle pas ça une arrestation mais une agression. »

Dany leur demande de faire appel à leur coeur. « Je leur ai expliqué qu’une maman ne pouvait pas dormir comme ça sans savoir comment allait son enfant, raconte-t-il. Il faut savoir qu’à ce moment-là, on a juste vu les vidéos où il est inconscient, où il convulse. A ce moment-là on nous dit qu’il va bien mais on ne sait pas si c’est vrai, on a zéro preuve, c’est horrible de penser comme ça mais c’est ce qu’on avait dit à la famille d’Adama Traoré. »

Les agents de police finiront par assurer qu’Idriss va bien et qu’il passe la nuit au poste. Une nuit blanche pour la maman. Dany vit des heures bien longues, lui aussi : « On passe la nuit à cogiter, on pense au pire, on espère qu’il va bien. » Idriss sera finalement libéré le lundi midi avec une poursuite pour outrage, c’est-à-dire une amende de 300 euros à régler et une convocation du délégué du procureur, en décembre prochain.

Le jeune homme a décidé de reprendre le cours de sa vie le plus rapidement possible. Dès le lundi soir, il avait repris le travail. Sa maman a eu plus de mal à s’en remettre : « Elle est plus craintive quand je sors. Quand elle voit la police, elle m’appelle et me prévient automatiquement. » Il explique qu’il essaye de ne pas trop y penser « mais parfois, je me dis que j’ai de la chance d’être encore là. J’aurais pu avoir de grosses traumatismes, tomber dans le coma… J’aurais pu mourir. »

Une interpellation spectaculaire, du tutoiement, des insultes, des violences, une maman qui s’inquiète, des potes révoltés et un traumatisme qui reste… Mais pas d’enquête, pas de plainte et une vie qui reprend comme si de rien n’était. Idriss s’ajoute à la longue liste de ceux qui ont pris de plein fouet la violence des relations entre la police et les jeunes des quartiers populaires. Tristement banal.

Sarah ICHOU

*Le prénom a été modifié.

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Pas de rap chez nous : la fête de la musique annulée à Saint-Ouen

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Comme chaque 21 juin depuis trente-cinq ans, aujourd’hui, c’est la fête de la musique. C’est aussi (officiellement) le début de la saison estivale. Petit point Wikipédia, la fête de la musique est prévue le 21 juin pour célébrer l’arrivée de l’été mais aussi parce qu’il s’agit du jour le plus long de l’année, l’occasion de faire la fête plus longtemps.

Localement, de nombreuses manifestations sont donc prévues. En Seine-Saint-Denis, plus de 30 communes proposent ce soir des événements à cette occasion. La ville de Saint-Ouen faisait partie de cette liste de communes engagées à faire la fête ce soir. Sauf que la fête est (déjà) finie, ou plutôt elle n’aura finalement pas lieu.

Plusieurs groupes de musique du coin devaient se produire. Parmi eux, ABD et AY-P. Abd c’est pour Abdou et Ay pour Ayoub. Ils ont grandi à Saint-Ouen, ont 25 ans à peine, font de la musique depuis longtemps de leur côté et ont monté ce groupe depuis près de trois ans. Sur Youtube, ils comptabilisent quelques dizaines de milliers de vues.

Les 4Keus aussi étaient programmés

Alors, pour eux, ce 21 juin, c’était un peu le grand jour. Un concert à la maison, pour la fête de la musique, devant tous les copains peut-être, les voisins, les anciens camarades du lycée… Un grand jour, quoi. Et puis, une première fois. Ils avaient bien fait, déjà, quelques scènes ici et là, mais jamais à Saint-Ouen. En tous cas, rien de « formel » d’après eux. Cette fois, c’était du sérieux, un cachet était prévu, c’était calé plusieurs semaines à l’avance… « C’était particulier pour nous, il y avait beaucoup de fierté de jouer dans notre ville », appuient-ils.

Du coup, les deux jeunes hommes préparent un véritable show d’une heure, font plus de 15 heures de répétitions dans un studio qu’ils louent une vingtaine d’euros par session… Il faut les comprendre : « Une heure de show, c’est balaise ». Ils sont fin prêts. Sauf que mercredi, l’organisateur de l’événement leur passe un coup de fil. Changement de plan. Le concert est annulé : « En gros, il nous explique que le maire ne veut pas qu’on se produise dans ‘sa’ ville pour des raisons de sécurité. Je cite ‘il ne veut pas de débordements’. Parce que pour lui un concert de rap ça dégénère, forcément. »

ABD et AY-P devaient partager la scène avec 4Keus, un groupe de jeunes rappeurs de La Courneuve, juste à côté. Les 4Keus, c’est un nom et un succès fou depuis deux ans : plus de 83 millions de vues, par exemple, pour le morceau qui les a fait connaître.

Thomas Koffi était chargé d’organiser et coordonner l’événement au nom du réseau MAP (musiques actuelles de Paris), pour le dispositif « Give me five ! » qui promeut les musiciens émergents. Et il partage la colère et la déception des jeunes artistes. « La programmation de la fête de la musique a été refusée par le maire parce que c’était du hip-hop, du rap, lance-t-il. Ça n’a pas été formulé directement comme ça mais c’est comme ça que nous l’interprétons. Je suis d’accord avec ce qu’on dit les deux rappeurs sur leur page Facebook. »

Pour mieux comprendre tout ce tintamarre, nous aurions bien aimé donné la parole au maire (UDI) de Saint-Ouen, William Delannoy. Mais ni lui, ni son cabinet, ni ses services n’ont donné suite à nos multiples prises de contact ces derniers jours.

On part du principe que notre public ne sait pas se tenir

Quant à ABD et AY-P, ils ont reçu pas mal de soutien, via les réseaux sociaux notamment. « Des associations nous ont même proposé de nous produire aujourd’hui, expliquent-ils. Mais on n’est plus dans le mood. Chaque concert est un moment particulier qui se prépare, on n’y va pas comme ça les mains dans les poches du jour au lendemain. »  

Pour les deux Audoniens, « c’est une insulte, un manque de respect envers nous et notre public. On part du principe que notre public ne sait pas se tenir, va forcément faire n’importe quoi. Sauf qu’on en a fait, des dates et ça n’a jamais été le cas. Ce n’est pas l’image qu’on donne de nous et notre public n’est pas comme ça. 4Keus tourne partout en France et il n’y a jamais eu de débordements. Ils craignent une guerre civile ? Non, personne ne va arriver et tout casser. Clairement, on nous considère comme des racailles alors qu’il ne nous connaît même pas, en fait. »

Abdou embraye : « Moi, par exemple, je vais être diplômé d’un master là en septembre, un master en transports et voyageurs, je suis en alternance à la direction de la SNCF. On travaille, on a notre argent, on paye nos sessions studios de notre poche parce que c’est une passion. Il (le maire, ndlr) ne nous connaît pas du tout personnellement mais considère qu’on va créer des débordements ? C’est ridicule et surréaliste, c’est aussi représentatif de l’image du rap dans notre société malheureusement. »

Sarah ICHOU

Crédit photo : Capture d’écran Youtube / Concert des 4Keus

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On a rencontré le CM des Produits Laitiers (et non, il n’est pas en roue libre)

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Son nom ne vous dit sûrement rien mais Adrien Dinh, c’est quelqu’un. Si vous voulez vous en convaincre, tapez « le CM des produits laitiers » dans la barre de recherches.

Certains rendent hommage à son génie :

D’autres un peu moins :

Adrien Dinh a presque la trentaine, il est père de deux enfants et précise qu’il « aime beaucoup ce nouveau rôle. » Et la manière dont il en parle est sûrement la meilleure publicité possible pour la paternité. Adrien est né et a grandi à Paris, dans le 20e plus précisément, quartier de la Banane. Celui qu’a popularisé le rappeur Moha la Squale dans ses sons. Adrien reprend et sourit : « Comme on a dix ans d’écart, Moha, c’était un petit du quartier. »

Au vu de ce qu’il raconte, il a l’air d’avoir eu le profil de l’élève qui recevait chez lui des bulletins avec inscrit « vrai touriste, il prendrait presque des photos. » Il dit que ça l’a toujours sauvé d’avoir été le « comique de la classe. » Il décroche tout de même un bac L, tente la fac, arrête, voyage, recommence puis finit par obtenir une licence de LEA, pour lettres étrangères appliquées. Celui qui pensait « ne pas aller loin dans les études » obtient un double-master en international business et international economic business et finance son école de commerce grâce à des petits boulots. C’est lors d’un stage qu’il se prend de passion pour le digital. Il commence par travailler en agence avant d’arriver au CNIEL (Centre national interprofessions d’économie laitière) – et donc dans vos TL – au début de l’année 2018.

La charge est lourde : soigner l’image des produits laitiers, un des fleurons de la production française. Un an et demi plus tard, 140 000 personnes suivent le compte des Produits Laitiers sur Twitter, ce qui n’était pas une mince affaire. Un succès qui s’explique par une communication décalée, associant le savoir-faire français en matière de lait ou de fromage à des codes jeunes, urbains, souvent décalés. Pourtant, Adrien l’assure, ce n’est pas à cela qu’il accorde « le plus de temps ».

Le « CM des Produits Laitiers » est aussi responsable de toute la stratégie digitale, et cela aussi bien sur les sujets sérieux et institutionnels que sur la partie grand public, plus visible. S’il travaille avec une autre community manager, il précise que c’est bien lui qui « tweete au quotidien » mais également qu’il n’est « pas en roue libre ». Il rappelle la fois où il a dû supprimer un tweet reprenant le même d’une personne se déclarant non-binaire parce que cela avait suscité des réponses haineuses : « Je m’amuse pas mal dans mon travail, j’ai cette chance, mais derrière, il y a de la stratégie, on s’appuie sur des études. La filière laitière, ça reste une filière très sérieuse. »

BB : On voit souvent le compte « Les Produits Laitiers » apparaître quand on se promène sur Twitter. Mais c’est quoi, en fait, ce compte ?

Adrien Dinh : Les produits laitiers, c’est d’abord une identité de marque grand public qui découle du CNIEL. C’est une association qui représente tous les acteurs de la filière laitière donc les agriculteurs, les producteurs de lait, les transformateurs et les industriels. L’idée, c’est qu’on communique sur les produits laitiers, qu’on défende les intérêts des produits laitiers sur différents aspects.

Comment on communique là-dessus ? 

Sur le côté grand public, il y a toujours eu beaucoup d’humour dans la communication autour des produits laitiers. C’était la fameuse pub « Les produits laitiers sont nos amis pour la vie », dont l’idée était de se rapprocher des gens. La cible a toujours été très jeune et on a toujours essayé de passer par la télévision pour la toucher, jusqu’à très récemment avec « Paf paf le loup. »

Mais aujourd’hui, les jeunes n’ont plus cette référence en tête. Ce qu’on veut, c’est leur proposer une communication qui leur ressemble, pas les pubs où on caricature des jeunes avec une mèche sur le côté et la casquette à l’envers. Aujourd’hui, pour utiliser des termes très marketing, notre cible, c’est les millenials, c’est-à-dire les 15-35 ans. C’est la génération des digitale natives, qui est incomprise par beaucoup d’annonceurs et de marques. Ils ont des nouveaux usages des médias et de la publicité, c’est ce qu’on essaye de viser.

Qu’est-ce qui fait qu’on décide de parler spécifiquement à cette cible-là ?

Comme beaucoup de marques, on a un système de veille qui nous permet d’analyser notre cible, de savoir comment on parle de nous, sur quelles plateformes… Là, on s’est aperçu qu’il y avait des débats très sérieux comme « Est-ce qu’on met le lait avant ou après les céréales ? », « Qui a caché mon yaourt ? », « Est-ce qu’on mélange ou pas son yaourt avant de le manger ? »… On partage aussi des recettes ou des repas un peu hasardeux, parfois ratés, on se fait chambrer…  Cette communication est propre à Twitter. C’est tout un monde à découvrir mais au final on voit que c’est très bien pris, que les gens partagent parce que ça les fait rire et qu’il y a ce côté viralisation très rapide sur Twitter.

Au début, l’idée était de comprendre vraiment qui ils sont. Parce que même si c’est ma communauté, on n’est pas tellement de la même génération. Par exemple, ils écoutent Jul et pas moi. Alors je l’écoute maintenant pour comprendre leurs références. L’idée étant de leur donner ce qu’ils veulent en termes de communication, pas l’inverse.

Ce qui t’a fait remarquer, c’est aussi l’utilisation d’un langage un peu « street », la reprise de mots ou d’expressions qu’on n’a pas l’habitude de voir tweetés par une marque…

Comme je l’explique souvent, on ne l’a pas choisie, cette cible. On a regardé qui parlait des produits laitiers et c’est eux qui en parlaient le plus. Il y avait les vegans aussi, mais c’était évidemment compliqué d’axer une communication là-dessus, et les parents, mais qui étaient plus présents sur Facebook. Alors on a décidé de parler avec les gens qui parlent de nous. La street s’est imposée d’elle-même, en fait.

Pour moi, ça a été une facilité et une difficulté car c’est une communauté qui m’est proche en termes d’affinités. On a tous des affinités musicales, culturelles et autres. Mais à presque 10 ans d’écart avec cette génération, il y a malgré tout pas mal de décalage. Par exemple, j’écoute du rap mais ce n’est pas le même qu’un mec de 16 ans. Les expressions changent aussi, il faut se renouveler. Même pour quelqu’un comme moi qui a cette facilité du point de vue de cette communauté, il y a quelque chose à appréhender pour ne pas être gênant.

C’est marrant parce que ce décalage est arrivé au même moment que ma paternité. Je suis un jeune papa, j’ai deux enfants qui ont un et trois ans. Je me suis dit « ok, c’est un gros coup de vieux. » Parfois je cherchais sur Google la signification de certaines expressions, d’un buzz, je demandais à des connaissances… Et puis c’est assez drôle mais sur ce genre de plateforme, si tu déconnectes une semaine tu as l’impression d’avoir raté une saison entière d’une grosse série. C’est une plateforme qui prend donc pas mal de temps de veille.

C’est étonnant parce que finalement le fromage et le lait, c’est la street ? 

Sur Twitter, paradoxalement oui, ils adorent le fromage. Enfin, pas tous. Ils adorent le fromage de chèvre, le Boursin… Mais le bleu, par exemple, ce n’est pas celui qui a le plus gros capital sympathie parce que c’est un « fromage d’adultes ». Il y a aussi toute une communauté qui va dire que « La Vache qui rit » et tous les fromages du genre, ce n’est pas du fromage. Mais si, ça l’est !

Il y a quelques années, je pouvais entendre le fait que la street, c’était très communautariste et segmentaire. Aujourd’hui, je suis désolé mais ce n’est plus le cas. Si vous regardez le top Spotify des musiques les plus écoutées en France, les 28 premiers titres sont des titres de rap. Et on ne peut pas dire qu’il n’y a que les banlieues qui écoutent Spotify, c’est national.

Ces idées digitales, toute personne de mon âge peut les avoir, on a tous plus ou moins les références. Après, il y a l’audace de le faire de le valider et la confiance qu’on nous accorde. Là-dessus, moi, j’ai beaucoup de chance avec le CNIEL. Il y a aussi la pédagogie de l’expliquer, expliquer ce qu’est le rap aujourd’hui notamment. Et on a des exemples qui nous aident : PNL sur la Tour Eiffel, Narcos sur Netflix… Et ce n’est pas parce qu’on parle de drogue sur un monument français que tout le monde va se mettre à en vendre. Ce n’est pas pour autant que demain on va se mettre à faire des blagues type « qui veut de la poudre de lait », non, il y a quand même des limites évidemment. Ce qu’on fait, c’est du divertissement.

Vous défendez les intérêts et l’image d’une industrie, pas d’une marque en particulier… Est-ce qu’on peut dire que vous représentez un lobby ? 

C’est vrai, on n’est pas une marque, on ne vend rien en soi. Parfois, je reçois des messages de petits en DM qui me demandent « Mais au fait, vous êtes qui ? Pourquoi vous êtes certifiés ? ». On est une organisation interprofessionnelle, le CNIEL donc. C’est considéré comme un lobby aujourd’hui sauf que l’image de lobby en France est très négative. Mon idée était de changer cette image de lobby, c’est-à-dire les trois produits laitiers à manger par jour, dire que c’est bon pour la santé… Au final, ce n’est pas à nous de le dire, il y a des études qui le font très bien.

Nous, on peut montrer l’évolution de la qualité du lait, des métiers sur tous les aspects. Mais sur la partie grand public l’idée est de promouvoir le plaisir des produits laitiers. Autour des produits laitiers il y a plein de choses à raconter, parler des débouchés professionnels notamment, des éleveurs, etc. Dernièrement, on a communiqué au moment de Parcoursup sur nos débouchés.

Chaque chose en son temps. La première étape c’était de rajeunir l’image des produits laitiers, la capitaliser, avoir un capital sympathie pour pouvoir être entendu ensuite. Au début, la problématique, c’était qu’on avait plein de choses à dire mais qu’on n’était pas visible. Donc il fallait augmenter la notoriété. On a commencé à 2000 abonnés environ sur Twitter. En un an, on en a gagné 100 000 de manière organique, sans sponsoring ni recherche d’abonnés particulière. C’était une belle année pilote. Là, on va entrer dans une deuxième phase, on va avoir un site Internet qui va ouvrir, notamment.

Comment on trouve les punchlines, les contenus, les idées qui aboutissent à quelques milliers de retweets ? On a un planning de publication, on fait des réunions ?

Non, c’est au quotidien. Si vous regardez bien, on ne se cale pas du tout sur les marronniers. On ne se dit pas « Oh tiens, c’est la fête des mères, il faut faire un tweet ! ». C’est en totale contradiction avec ce qui se fait en avance mais ça correspond à nos abonnés. Les marronniers, c’est vu et revu, ça devient vite lourd. Nous, on voulait se démarquer et interagir avec la communauté.

Pour nous, Twitter, c’était un pilote. On est parti du principe que, puisqu’on n’a encore rien fait, tout est possible. On essaye de réagir avec des références qui leur ressemblent, des mangas, des citations de rap et hop ça prend. Petit à petit c’est vite monté. Ensuite il y a ces influenceurs sur Twitter qui ont apprécié et validé, on a eu cette street-crédibilité. On a parlé de One Piece, Rebeu Deter a commenté en disant que c’était lourd, on a parlé de foot, YannouJr (un supporter de l’OM très actif, ndlr) a commenté…

Ils ont commencé à interagir avec nous sans même qu’on leur demande, qu’on fasse les forceurs. Et voilà, ils amènent leur communauté et ensuite la communauté des produits laitiers s’agrandit petit à petit. On a un capital sympathie qui n’est pas négligeable. Les gens ont conscience que c’est une marque mais ils suivent parce que le ton leur correspond.

Ça fait évidemment plaisir. Mais c’est l’idée du CM qui importe. Si demain je pars et que quelqu’un se cale sur ma ligne édito, tous les followers n’en sauront rien. C’est aussi pour ça que j’explique la stratégie en interne, pour que tout le monde la partage et au cas où je ne suis pas là ou pas disponible. On part du principe que c’est la communauté qui nous donne le contenu.

En interne, est-ce que tout le monde comprend cette stratégie et ces références street ? 

Ce qui est beau, c’est qu’on ne fait rien si les trois collèges ne sont pas d’accord : industriel, coopérative et producteur, donc ça peut prendre du temps. On fait valider notre stratégie globale mais pas quotidienne, évidemment. Deux fois par an, on a des commissions marketing où on présente nos actions, nos projets et nos résultats. La stratégie a été validée au départ parce qu’il y avait une certaine confiance. Ensuite, on fait des études pour évaluer ce que l’on fait. Moi, je l’avais dit au départ : si le résultat c’est qu’on fait juste rire, on arrête. Si ça ne produit rien sur la sympathie des produits laitiers, sur la consommation des produits et l’image de la filière, ça ne sert à rien.

En interne, beaucoup ne sont pas exactement dans la cible. Donc au début, ils ne comprenaient pas tellement pourquoi on se mettait à clasher des gens. Et puis, les études ont montré que la sympathie des produits laitiers avait augmenté. J’étais très surpris que ça augmente si vite. Et ça, ça valide et rassure sur ce qu’on peut ensuite faire par la suite.

Cette année on a lancé Instagram et Facebook mais à destination d’autres communautés. Facebook c’est une communauté vieillissante qui a plus de 35 ans, des parents. C’est ma communauté future finalement (rires). L’objectif étant de donner aussi du contenu qu’ils veulent mais pas avec les mêmes références évidemment. On ne va pas mettre Alkapote sur Facebook par exemple, ni parler de Booba. On va plutôt parler de Kaamelott et Burger quizz. Instagram, c’est un peu dans l’entre deux. On est plus sur du visuel, des stories.

Donc j’entends souvent des gens dire « Vous, votre communauté c’est la street ». Oui, mais ce n’est pas que ça. C’est comme ça qu’on a commencé sur Twitter, et c’est effectivement le cas mais sur nos autres réseaux ce n’est pas le cas.

On voudrait aussi revenir sur le tweet du ramadan. Pourquoi ?

De toutes les religions, l’islam est la seule où le lait à une place centrale à un moment donné fort d’un événement religieux. La communauté musulmane est quand même présente en France alors à un moment donné il n’y a rien de mal à mettre un verre de lait, une datte et dire « C’est l’heure. » On n’a pas parlé en arabe, on n’a pas dit « Saha ftourkoum » (bon appétit, ndlr), on n’a pas fait de prosélytisme. Non, on a juste dit que c’était l’heure avec un lait et une datte.

Moi, je suis assez à l’aise avec ça puisque dans ma famille quatre religions coexistent. Même nos industriels vendent du leben (du lait fermenté, ndlr) avec des inscriptions en arabe donc il n’y a aucun souci avec ça. Par exemple, les produits laitiers sont très présents au Sénégal, ça nous est donc arriver de parler wolof. Il y a un esprit très international, finalement. On est présent dans près de 67 pays. Moi je fais des tweets en russe, en wolof, en viet… C’est plus rare mais ça arrive.

Tu fais partie de la grande confrérie des CM, de plus en plus mis en avant sur Twitter. Est-ce que vous avez des liens, entre vous ?

Il y a de l’interaction entre les comptes, oui, plutôt par affinités. A titre personnel, j’apprécie particulièrement un des CM de Décathlon que tout le monde connaît aujourd’hui, Yann. Il a un community management drôle et responsable à la fois et ce n’est pas évident. L’affaire du hijab n’était pas évidente et il a très très bien géré tout en maintenant ses convictions et celles de la marque. Lui, j’ai envie de lui dire « Je t’aime. »

(C) Anne Soullez

Mais personnellement, voilà, je suis papa. Une fois que je sors du taf, je file chez moi. Il y a plein de soirées qui se font mais moi je suis très casanier et puis je ne bois pas. C’est paradoxal mais une fois que je ne suis plus au bureau, je ne suis sur aucun réseau. Je regarde ce qu’il se passe sur les réseaux, je fais de la veille quotidienne bien sûr mais je ne l’utilise pas à titre personnel, je ne fais pas de stories par exemple.

Question bonus et culture : Qu’est-ce que les produits laitiers pensent du buzz des laits végétaux ? 

Déjà, on ne dit pas laits végétaux mais jus végétaux même si personne ne le dit comme ça. C’est juste quand dans la législation, normalement on parle de jus. Le lait, c’est ce qui sort du lait d’un mammifère. Il y a des exceptions comme le lait de coco, d’amande parce que c’est rentré dans le langage courant. C’est assez paradoxal mais avant, quand on avait très peu de notoriété, la communauté vegan nous trollait pas mal. A partir du moment où on a lancé cette communication, ça s’est calmé. En tout cas, pour revenir à la question des jus végétaux, on a des marques qui sont sur ces deux marchés de toute façon et pour moi ce sont des produits qui se complètent. On peut aimer les deux. Nous, on n’est pas anti jus végétaux.

Propos recueillis par Sarah ICHOU et Latifa OULKHOUIR

Crédit photo : Anne SOULLEZ

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La banlieue influence Paname, Luceny Fofana influence le monde

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Il arrive au pas de course sur la terrasse du Harry’s Café, le resto où tout le monde se donne rendez-vous à Bondy. Luceny est quelqu’un qui n’a pas tellement le temps mais qui sait pourtant le prendre. Le temps de raconter, d’expliquer en détail, de comprendre, d’écouter. Ce n’est pas vraiment quelqu’un de timide mais il ne se confie pas facilement non plus. Alors, on s’est installé dans un coin calme du Harry’s, on a pris un thé et on a surtout pris le temps de discuter.

Nous sommes quelques heures avant le début de la fashion-week parisienne. Il y assiste depuis quatre ans en tant que responsable social media et trend marketing de la marque adidas Originals. Dès le lendemain, il reprendra sa valise qu’il a traînée depuis Herzogenaurach (la ville où siège la firme aux trois bandes), pour la poser dans un hôtel parisien et passer quelques jours intenses avec les professionnels de la mode. En attendant, il s’est installé deux jours chez ses parents, à Bondy nord. Il y télé-travaille tout en profitant des siens. « Certains ont besoin d’aller au vert ou au bout du monde pour se retrouver, dit-il. Moi, il faut que je revoie des potes que j’ai depuis toujours, que je passe au quartier. »

Ce quartier, c’est celui du marché Suzanne-Buisson, à Bondy nord. C’est là qu’il naît au milieu des années 80 et qu’il grandit avec ses frères et soeurs. L’école lui permet de voyager, d’abord dans le coin. Il démarre sa scolarité à Albert-Camus, au nord de la ville. Passionné de foot, il intègre à l’entrée au collège une classe à horaires aménagés, sorte de sport-études concoté par l’AS Bondy, le club local. Direction, donc, le sud de la ville et le collège Henri-Sellier : « On avait cours une bonne partie de la journée, jusqu’à 15h à peu près et ensuite on était sur le terrain. On s’entraînait avec Wilfried, Fanfan, tous ces mecs hyper inspirants qui incarnaient l’ASB. » Oui, Wilfried le papa de Kylian Mbappé mais ça, Luceny ne le précise pas forcément. La discrétion, l’humilité sont des qualificatifs qui lui vont bien. Il ne racontera pas non plus qu’il travaille pas mal avec Pharell Williams par exemple (mais nous on le précise parce que c’est un truc de ouf).

Un BTS au Raincy, un stage à faire à l’étranger et le rêve américain

« Le foot, c’était le truc qui drivait ma vie à l’époque. Plus petit, j’étais très intéressé par ce sport tout en étant assez réaliste, je savais que je jouais bien mais que je n’avais pas un niveau plus élevé que les autres. » Alors Luceny se dirige cette fois vers l’ouest de Bondy pour étudier au lycée Jean-Renoir. Il y passe un bac STT (sciences et technologies tertiaires, l’ancien STMG). A ce stade, il ne sait toujours pas exactement ce qu’il veut faire de sa vie mais il se plaît dans sa filière : « Quand je regarde en arrière, il y a plein de petites choses qui m’ont orienté vers ce que je fais aujourd’hui », comme ce devoir de première dont il n’a oublié aucun détail. « Il nous avait été demandé de créer un produit manuel qui n’existait pas et de monter un vrai discours publicitaire autour. J’avais pris une paire de crampons et j’avais collé dessus tout un tas de sponsors, comme Siemens, Samsung, raconte-t-il avec passion. J’avais vendu ça comme un truc totalement révolutionnaire, en disant que c’était une nouvelle source de revenus pour les marques, que les collaborations entre ces marques étaient inédites. J’essayais déjà de rassembler mes passions entre le marketing et le foot. »

Après l’obtention de son bac avec mention, le voilà parti pour le Raincy où il intègre un BTS commerce international au lycée Albert-Schweitzer. Qui dit international dit voyage, forcément. Entre ses deux années d’études supérieures, il doit valider un stage à l’étranger. La plupart des camarades de sa promo s’envolent pour l’Espagne ou l’Angleterre. Luceny se débrouille pour trouver un stage au port d’Oakland, à San-Francisco. La distance ne lui fait pas peur – « deux mois, c’est court et le cadre scolaire est toujours rassurant » et puis, une cousine habite le coin. Il se forme à l’organisation événementielle, perfectionne son anglais et découvre le mode de vie américain : « J’habitais sur le campus de l’université de Berkeley pour être entouré de gens de mon âge et pour vivre une expérience un peu différente. Je m’étais bien imprégné de cette vie américaine. » Luceny est quelqu’un qui parle avec les mains et avec conviction. Quand il raconte une histoire, il nous emporte avec lui.

Tu t’es déchiré pour être là, tu ne peux pas te permettre de prendre les cours à la légère

A son retour, le voilà plus que jamais motivé à intégrer une école de commerce. Sauf que les prix sont moins motivants. Il s’inscrit tout de même mais n’y passera que deux semaines. L’ambiance ne lui correspond pas et surtout, son prêt étudiant n’est pas accepté : « C’était une école à 15 000 euros l’année à peu près et tu devais t’engager sur deux, trois ans donc c’était un peu cher pour mes parents à l’époque et évidemment pour moi puisque je n’avais pas d’économies. »

Il met donc entre parenthèse ses études, décide de travailler toute l’année pour parvenir à son objectif : avoir, au moins, un apport suffisant pour le prêt à la banque. Il enchaîne alors les petits jobs étudiants, dans des boutiques de prêt-à-porter, des fast-food. Un pote de San  Francisco l’encourage à faire ces jobs-là aux Etats-Unis. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour brancher Lucény. Deux semaines plus tard, le voici de retour aux States. Il traque les jobs, dort chez son pote et suit, chaque soir de 18h à 21h, des cours intensifs d’anglais.

Pendant cette année d’entre-deux, ses parents économisent aussi de leur côté. « Ils étaient déçus et culpabilisaient un peu, je pense, du fait que je n’avais pas pu enchaîner après mon BTS pour des raisons de thunes, explique-t-il. Ils se disaient qu’ils avaient un gamin qui en voulait, qui avait de bonnes notes et qui souhaitait faire de grandes choses mais qu’ils ne pouvaient pas l’aider, alors sur cette année de pause étudiante, ils m’ont beaucoup encouragé. »

Luceny Fofana au Harry’s Café, à Bondy

Pendant ce temps-là, Luceny continue de grandir et de prendre goût au rêve américain. En songeant à la suite, il se souvient de cette prof rencontrée à Schweitzer, le lycée du Raincy. Elle enseignait à l’université de Manchester. Il retrouve son mail, lui fait part de sa motivation à rejoindre son établissement, constitue un dossier, passe des tests et l’intègre à la rentrée suivante. S’ensuit un Bachelor, puis un master en marketing et communication.

« Les deux premières années, il fallait vraiment que je sois concentré sur les cours, raconte-t-il. Il faut vraiment être à fond parce que ce n’est plus de la conversation de rue, c’est un autre langage et puis tu t’es déchiré pour être là donc tu ne peux pas te permettre de prendre les cours à la légère. » Parallèlement à son master, il travaille pour une marque de vêtements anglaise dont il gère les réseaux sociaux.

Une succession d’heureuses rencontres et les portes d’adidas s’ouvrent

Ce n’est que le début de sa carrière professionnelle. A l’issue de ses études, il travaille d’abord pour Vice : « L’histoire avec Vice est tellement dingue… A la fin de mon Bachelor, il y avait des stages d’un an proposés chez adidas, dont le siège national est situé en banlieue de Manchester. C’est une première étape pour être recruté chez eux. Moi, ça me fait clairement rêver. C’est la grosse boîte du secteur, c’est une marque qui m’a toujours fait kiffer. Sauf que je n’obtiens pas le poste. Mais une nana m’a bien aimé et me demande un peu dans quoi je recherche. Je lui parle de mode, de sportwear, de médias… Elle envoie mon CV chez Vice UK. »

La passe décisive fait presque but. Vice le contacte et lui propose un contrat à temps plein ! Mais Luceny a son mémoire de fin d’études à finir, alors l’offre le fait cogiter. « Finalement, je préfère être honnête avec eux, moi il faut que je travaille aussi mon mémoire, je ne vais pas tout planter alors que j’arrive quasi au bout. » Mais, là encore, sa candidature séduit. Nouvelle passe décisive, de Vice UK à Vice France cette fois. « Ils étaient moins dans le speed, ils pouvaient me laisser du temps pour le mémoire donc je suis rentré en France. » Il est nommé responsable des partenariats événementiels. Cela consiste à trouver des solutions d’activations événementielles à des marques clientes, type Nike, Diesel, le Coq Sportif.

Au moment où il arrive, Vice France c’est une dizaine de personnes seulement dans un petit appartement du 18e arrondissement. Luceny parle d’une expérience très formatrice, qui « aide forcément pour la suite. Quand j’ai signé chez Adidas, ce que j’avais appris chez Vice en terme d’organisation, souvent à la dernière minute, me permettait aussi de me démarquer. Je me souviens que, chez Vice, on avait plein d’idées mais pas un euro. On brainstormait parfois sur un projet sans même avoir les financements ! » 

Pour son mémoire, Luceny travaille sur une pub adidas. Le directeur de la publication de Vice le met en contact avec la responsable de la communication d’adidas France, qu’il connaît bien. Luceny raconte la suite de l’histoire : « Je la rencontre deux heures dans le cadre de mon mémoire et à la fin de l’entretien, je lui dis que je vais être diplômé dans quelques mois, et que j’étais preneur s’ils avaient le moindre poste. Elle m’a rappelé pour me proposer le job. J’étais à ce moment là sur le point de m’engager avec une agence de pub. L’agence de pub me proposait un CDI. Adidas me proposait un stage. Mais je n’ai même pas réfléchi deux secondes. C’était ma passion, je savais que je n’aurais même pas l’impression de travailler. Comme quoi, il faut toujours persévérer… Ce qui n’avait pas marché en Angleterre avait marché en France. » 

Il travaille alors entre la communication et le marketing. Pour résumer grossièrement, il est chargé d’articuler la stratégie de communication globale avec les besoins et contraintes d’une boutique. Concrètement, cela passe par la disposition des affiches et stands au sein d’un magasin mais aussi par l’organisation de petits événements ponctuels avec des guests.

Va trouver le contact de la vraie jeunesse de France, des jeunes de Bondy, de Joinville et des quartiers nord de Marseille !

Pour Luceny, la passion du football et cette attraction pour adidas sont clairement liées : « Adidas, ça a toujours été la marque numéro un dans le football, c’est la marque avec laquelle j’ai grandi. Avant même d’avoir des baskets de marque, je me souviens avoir d’abord eu des crampons adidas. Et maintenant que je suis un professionnel du marketing, je me rends compte de la loyauté incroyable de chacun envers les marques de sa jeunesse. adidas, c’était la marque qui me donnait confiance et dont on parlait avec des potes.»

Alors, quand on lui propose de se trouver un projet à lui, son bébé, il part de son vécu : « Beaucoup de marques axaient leur communication sur les athlètes, les influenceurs, les stars locales… Sauf qu’on avait complètement abandonné la jeunesse elle-même, dans les quartiers et ailleurs. Moi, je leur ai dit que quand j’étais gamin, ok Zizou, Thierry Henry et tous les autres étaient des stars, sauf que les restas c’était aussi les grands de mon quartier, mes potes et moi. On s’influençait entre nous. Un mec qui s’achetait la dernière paire et hop, il nous la fallait. Et quand on a 12-13 ans, ça semble aussi plus accessible. On se dit que si quelqu’un du quartier peut avoir la dernière paire, on peut l’avoir aussi. Je leur disais de ne pas sous-estimer cette influence là, que cette influence était bien plus complexe et plus compliquée à toucher mais qu’elle était essentielle. C’est beaucoup plus dur à toucher aussi parce que trouver le contact de Zidane ou Akhenaton, finalement quand tu es adidas c’est pas trooop compliqué. Par contre, va trouver le contact de la vraie jeunesse de France, des jeunes de Bondy, de Joinville-le-Pont et des quartiers nord de Marseille ! C’est autre chose. » 

Luceny propose donc « Original Friends », un programme qui consiste à recruter 50 jeunes un peu partout en France, âgés de 15 à 18 ans, des skateurs, blogueurs, photographes, acteurs en herbe… « L’idée, c’était de construire la relation avec ces 50 gamins, à la fois entre eux et avec la marque, précise-t-il. On voulait que ces mecs et ces filles deviennent des ambassadeurs de la marque dans leur lycée. »

Ce jour-là, le Harry’s Café est plein de potentielles et potentiels Original Friends, comme ces trois adolescentes assises à quelques tables de nous. Pour elles comme pour les autres, Luceny est un client lambda. Il faut dire que c’est un garçon simple : jean, baskets, petites lunettes de soleil. Rien n’indique de l’extérieur qu’il est un des cadres mondiaux d’une entreprise internationalement connue… et portée par une flopée de celles et ceux qui nous entourent.

Mais lorsque notre photographe dégaine son objectif pour la séance de shooting, les questions des jeunes filles fusent : « Vous êtes qui ? Un footballeur ? Un influenceur ? » La pudeur et la timidité de Luceny prend le dessus, il les invite à lire le Bondy Blog pour avoir la réponse.

Il repart, comme il est venu : au pas de course. Luceny a rendez-vous dans quelques minutes par téléphone avec les équipes américaines d’adidas. Son coup de fil, il le passera depuis chez ses parents, à Bondy nord. Malgré tout, il tient à prendre le temps de finir de répondre aux dernières questions. Il conclut : « La différence aujourd’hui est une force. En tout cas, moi, je le vois dans mon domaine. Être noir et issu de banlieue, ça m’a permis de me démarquer. Aujourd’hui, j’encourage les jeunes à cultiver leur différence. D’autant qu’en ce moment, la banlieue est à la mode… »

Sarah ICHOU

Crédit photo : Anne SOULLEZ / BB

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Idriss, 19 ans, gazé, coursé, menotté, frappé, insulté

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Pour beaucoup, le dimanche, c’est foot. Ce 19 mai était donc un dimanche comme les autres à Levallois-Perret, à ceci près qu’il y avait là l’effervescence des grands matches, ceux auxquels tout le quartier est présent. C’était la CAN des quartiers, comme un peu partout en Ile-de-France. L’affiche était pas mal, en plus : Maroc – Côte d’Ivoire, le tout au stade Didier-Drogba, du nom de l’ancienne légende ivoirienne qui a lancé sa carrière à Levallois.

Comme partout, cela devait être l’occasion d’une belle fête, dans un esprit bon enfant, avec du spectacle et de l’ambiance. Oui, mais voilà. Cette fois, le match a dégénéré. L’arbitre a sifflé un penalty dans les derniers instants, les esprits se sont échauffés. Après plusieurs minutes d’agitation, le calme serait revenu tout seul. La police arrive ensuite pour disperser tout ce petit monde. Et voilà que les violences reprennent de plus belle, cette fois entre jeunes et policiers.

Sur le trottoir, un policier lance une grenade de désencerclement. La dispersion qui était en marche devient alors une cohue désordonnée. « On courait dans tous les sens, on n’y voyait rien, c’était en pleine route, il y avait des voitures, des enfants au milieu de cette centaine de personnes, c’était hyper dangereux. » Celui qui raconte s’appelle Idriss, il a 19 ans. Il est livreur pour un restaurant et habite le quartier Youri-Gagarine, un des rares quartiers populaires de Levallois.

Des policiers, des jeunes qui courent…

Idriss finit par rentrer au quartier. Il y a retrouve quelques amis, avec qui il discute de ce qu’il vient de se dérouler. C’est encore tout frais mais ils en parlent déjà au passé. La pression retombe doucement. Dix ou quinze minutes se sont écoulées depuis la dispersion. Et puis, Idriss s’apprête à rentrer quand deux voitures de police arrivent en fonçant. « Avec mes potes on s’est immédiatement dit : ‘si c’est pour nous, on court’. On n’avait rien à se reprocher mais on savait qu’ils n’avaient attrapé personne, qu’ils voulaient se venger. Ils étaient hyper agressifs, roulaient très vite et très brusquement. Bref, on ne s’est pas trompé : ils se sont arrêtés pile devant nous. Alors on a couru. Moi, malheureusement, je me suis fait attraper. »

Liam* est un « grand », comme on dit, un de ces grands frères dont la voix porte au quartier. Au lendemain du match, il a tweeté sa colère. C’est comme ça que nous l’avons contacté. Il nous raconte que la plupart des jeunes qui disputaient ce match, il les a vu grandir. Au moment de l’interpellation, Liam était à son balcon. Il voit Idriss courir, se faire attraper, prendre un coup et tomber KO. « Ils l’ont tout de suite menotté alors qu’il était en détresse respiratoire, sur le dos. Normalement, quand tu vois qu’une personne ne respire pas tu le mets en PLS (position latérale de sécurité, ndlr), tu lui enlèves les menottes… C’est la base du premier secours. »

Autour d’Idriss, un petit groupe se forme. Des garçons, des filles du quartier. La plupart dégainent leurs smartphones et la scène arrive vite sur les réseaux sociaux. « Un excellent réflexe » d’après Amal Bentounsi, fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine » : « C’est exactement ce qu’il faut faire : filmer, diffuser, relayer, d’autant que c’est dans nos droits. »

Sans ces images, je ne suis pas sûr qu’on m’aurait cru

Les personnes qui filment sont de nouveau gazées. Pendant ce temps-là, Idriss est au sol. Il respire très mal et perd connaissance : « C’est flou dans mon esprit mais je sais que je me suis laissé faire, je ne me suis pas débattu. Je savais que c’était peine perdue face aux quatre policiers. Par contre, ce dont je me souviens, c’est que ma tête a frappé fort le sol. J’ai convulsé et la suite, je l’ai vue en vidéo. D’ailleurs, je remercie les personnes qui ont filmé. C’est un peu humiliant pour moi d’apparaître comme ça publiquement parce que je suis dans une situation de faiblesse mais sans ces images, je ne suis pas sûr qu’on m’aurait cru. »

Liam poursuit son récit. « Ensuite, il a été traîné sur une cinquantaine de mètres, jusqu’à la fourgonnette. » Dans la voiture, Idriss reprend connaissance : « Dès que j’ai repris mes esprits, je leur ai demandé pourquoi est-ce qu’ils avaient fait ça, pourquoi ils avaient été si violents. Ils m’ont répondu ‘ferme ta gueule’ et m’ont menacé de recommencer. Alors j’ai préféré me taire, ça ne servait à rien de parler avec eux. »

Direction le commissariat de Levallois, sans escale ni détour par l’hôpital. On lui propose de voir un médecin présent au commissariat. Il accepte : « J’avais repris conscience mais je ne me sentais pas au top de ma forme. » Une chute de sa glycémie est détectée. On lui prescrit donc un verre d’eau sucrée. Alors qu’Idriss a jeûné toute la journée, on lui donne finalement dans la soirée une brique de jus et quelques biscuits en guise de repas.

Il est alors placé en garde à vue pour outrage à agent. Textuellement, un outrage est « un acte commis à l’égard d’une personne chargée d’une mission de service public, en lien avec ses missions, et qui nuit à la dignité ou au respect dû à sa fonction. »

Idriss reconnaît avoir « haussé le ton » face à une policière : « C’était au moment où ils ont lancé une bombe lacrymo mais c’est tout, je pense que c’est par rapport à ça qu’ils ont sorti l’outrage mais c’est tout. » Pour confronter les points de vue, nous avons contacté le commissariat de Levallois, le parquet de Nanterre et la DTSP (direction territoriale de la sécurité de proximité, ndlr). Personne n’a souhaité répondre à nos questions.

Nous avons donc discuté avec l’UNSA, un syndicat policier. Là encore, refus catégorique de commenter l’affaire. Alors, à défaut, on a essayé de comprendre ce qu’est l’outrage et si, finalement, ce n’était pas un bon motif fourre-tout pour justifier de certaines interpellations un peu chevaleresques. Réponse du syndicat : « Ce n’est pas nous qui qualifions l’outrage, il est en vertu du code pénal. A partir du moment où on considère qu’il y a outrage, on procède à l’interpellation des personnes. Oui, c’est sur la base d’un jugement mais dans la vie, le jugement est pour tout. L’interpellation ne se fait pas arbitrairement. Elle se fait parce que les gens sont en infraction. Ce n’est pas le fonctionnaire qui interprète une situation mais la personne qui se met en difficulté et qui prend la liberté de commettre un crime ou un délit. »

Je n’appelle pas ça une arrestation mais une agression

Idriss est donc placé en garde à vue sauf que sa famille n’est pas au courant. Etant majeur, l’appel à sa famille n’est pas automatique. « Je ne leur ai pas demandé non plus, reconnaît-il. Quand on t’ordonne de fermer ta gueule, tu essayes de te faire tout petit en fait. »  Sauf que les vidéos de son interpellation se propagent très rapidement sur les réseaux. Sa famille est informée, sa maman s’inquiète. Ni une, ni deux, la voici au commissariat. Une première fois avec les deux petites soeurs d’Idriss. On lui explique qu’elle ne pourra pas voir son fils. Elle ne sait pas s’il est à l’hôpital ou au commissariat. Elle ne sait pas ce qu’il s’est véritablement passé. Elle veut voir son fils. On lui refuse. Elle rentre donc chez elle puis y retourne de nouveau dans la soirée avec Dany*, le cousin, considéré comme le grand frère d’Idriss : « Cette histoire est surréaliste. Moi je n’appelle pas ça une arrestation mais une agression. »

Dany leur demande de faire appel à leur coeur. « Je leur ai expliqué qu’une maman ne pouvait pas dormir comme ça sans savoir comment allait son enfant, raconte-t-il. Il faut savoir qu’à ce moment-là, on a juste vu les vidéos où il est inconscient, où il convulse. A ce moment-là on nous dit qu’il va bien mais on ne sait pas si c’est vrai, on a zéro preuve, c’est horrible de penser comme ça mais c’est ce qu’on avait dit à la famille d’Adama Traoré. »

Les agents de police finiront par assurer qu’Idriss va bien et qu’il passe la nuit au poste. Une nuit blanche pour la maman. Dany vit des heures bien longues, lui aussi : « On passe la nuit à cogiter, on pense au pire, on espère qu’il va bien. » Idriss sera finalement libéré le lundi midi avec une poursuite pour outrage, c’est-à-dire une amende de 300 euros à régler et une convocation du délégué du procureur, en décembre prochain.

Le jeune homme a décidé de reprendre le cours de sa vie le plus rapidement possible. Dès le lundi soir, il avait repris le travail. Sa maman a eu plus de mal à s’en remettre : « Elle est plus craintive quand je sors. Quand elle voit la police, elle m’appelle et me prévient automatiquement. » Il explique qu’il essaye de ne pas trop y penser « mais parfois, je me dis que j’ai de la chance d’être encore là. J’aurais pu avoir de grosses traumatismes, tomber dans le coma… J’aurais pu mourir. »

Une interpellation spectaculaire, du tutoiement, des insultes, des violences, une maman qui s’inquiète, des potes révoltés et un traumatisme qui reste… Mais pas d’enquête, pas de plainte et une vie qui reprend comme si de rien n’était. Idriss s’ajoute à la longue liste de ceux qui ont pris de plein fouet la violence des relations entre la police et les jeunes des quartiers populaires. Tristement banal.

Sarah ICHOU

*Le prénom a été modifié.

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Un samedi à Rosny 2, avec Marwa Loud en dédicaces au O’Tacos

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« Marwa Loud chez O’Tacos Rosny 2 ». Le visuel était criard, partagé massivement sur Snapchat et autres réseaux. D’abord, nous n’avons pas trop su quoi faire ni penser de cette information. Nous avons ensuite croisé et vérifié nos sources, en bons journalistes qui se respectent. Jusqu’à obtenir confirmation de l’artiste en personne, Marwa Loud, qui l’a partagée à son tour en story avec ce commentaire : « Samedi c’est à Rosny 2 qu’on as rdv » (avec un “s” parce que… pourquoi pas après tout ?).

Au Bondy Blog, nous aimons le terrain et les challenges alors nous avons décidé de nous joindre à ce rendez-vous. D’autant que Rosny 2 est le centre commercial le plus proche de Bondy (petite économie en frais de déplacement, on ne dit pas non). 100 000 m² pour près de 150 boutiques et restaurants. Parmi eux, il y a effectivement un O’Tacos. Pour les moins gourmands (on n’ose pas dire gourmets) d’entre vous, il s’agit d’une chaîne de fast-food spécialisée dans « le tacos français ». La french touch fait toute la différence.

Autant le dire franchement, on est loin des pubs Old el paso et du véritable tacos mexicain. Il s’agit plutôt d’un grec 2.0. Le client choisit la taille de son sandwich : M, L, XL ou XXL. Puis il choisit les viandes qu’il souhaite y mélanger. Et là, le mélange peut s’avérer aussi improbable que cet article : poulet, viande hachée, nuggets, cordon bleu, merguez, tenders… Le royaume des possibles. Sans oublier une bonne louche de sauce fromagère et les frites, à l’intérieur. Mention spéciale au Giga Tacos (XXL), qui fait la taille d’un plateau et mélange quatre viandes différentes. Il coûte 14 euros mais, si le téméraire parvient à le finir, c’est la maison qui offre. La classe.

J’espère que c’est Beyoncé que vous attendez comme ça

Marwa Loud, quant à elle, est une chanteuse française. Wikipédia la place dans la catégorie « pop urbaine et RnB ». Elle a 22 ans, a grandi à Strasbourg et a percé avec des titres comme Fallait pas, Temps perdu ou encore Mi Corazón, grâce auxquels elle a été nommée aux NRJ Music Awards 2018 dans la catégorie « Révélation francophone de l’année ». Un prix qui a finalement été remporté par Aya Nakamura (si vous ne la connaissez pas non plus, là, on ne peut plus rien pour vous).

Le rendez-vous improbable entre Marwa Loud et le O’Tacos est donc donné samedi 19 janvier à 16h. Comme tous les samedis depuis la création de Rosny 2 au début des années 70 (note de la rédaction en chef : information non vérifiée), le centre est plein à craquer et il faut prévoir quatre jours et demi pour se garer. Comme tous les samedis, on y croise des parents au niveau de Carrefour et de la parapharmacie. Et, comme tous les samedis, les plus jeunes sont côté Zara et Footlocker. N’importe quel ado du coin a déjà passé un samedi après-midi ici. Il y fait bien chaud l’hiver et très frais l’été.

Devant le O’Tacos, ce samedi-là, plusieurs centaines de personnes attendent Marwa Loud. Des ados, beaucoup. Mais aussi des enfants avec leurs parents, des gens curieux qui passent par là. Un sexagénaire, visiblement inquiet : « Il se passe quoi, c’est quoi ce bordel ? ». Une jeune fille lui répond : « On attend une chanteuse. » Punchline de conclusion : « Ah bon ? Bah j’espère que c’est au moins Beyoncé ! »

Pas tout à fait, monsieur, mais ça y ressemble. Imène et Mariama sont là depuis deux heures. « On s’est dit que pour avoir de bonnes places, il fallait venir plus tôt alors on a mangé au McDo et on est venu direct ». Quand on leur demande pourquoi elles n’ont pas plutôt opté pour un tacos, les deux adolescentes nous expliquent qu’elles n’avaient « pas assez faim pour s’aventurer là-dedans ». L’argument se tient.

Attente et faux espoirs

Le hasard veut que le O’Tacos de Rosny 2 soit voisin d’une boutique Swarovski. Autant dire que la clientèle du restaurant n’est pas la même que celle de la bijouterie. Les vendeuses se disent « impressionnées » par la foule. Certains profitent de l’attente pour faire un tour dans la boutique. Un jeune homme en ressort bredouille : « C’est pas mal mais les prix… T’imagines combien de tacos je peux acheter pour un collier ? »

Il est 16h30 et Marwa Loud n’est pas encore là. “Eh ouais le temps passe”, comme elle le chante dans le mémorable Billet. Alors, dans la foule, les gens se plaignent de cette attente qui paraît interminable. Quelques ados simulent son arrivée. « Elle est là ! » La tension et l’excitation montent d’un cran, tout le monde crie et saute, et finalement… rien. Les fans se disent agacés de ces « gamineries » . Les gamins en question, eux, s’en amusent franchement.

Il est 16h40, elle n’est toujours pas arrivée. On discute donc avec Anissa, 14 ans : « Une copine a mis dans sa story le visuel de l’événement et a demandé “qui y va ?”, c’est comme ça que j’ai su. J’ai d’abord été faire mes devoirs à la bibliothèque et je suis venue après, mais j’aurais pu finir mon DM de maths en fait, parce qu’elle est graaaave en retard là ». Anissa insiste pour qu’on note bien qu’elle n’est pas fan de l’artiste. « Je connais parce que tout le monde écoute et que ça passe partout mais je ne suis pas une groupie, hein. En vrai, Marwa Loud, c’est pas une star de ouf, assène la Bondynoise. On est beaucoup à être là simplement parce que c’est cool d’être tous ensemble. » C’est beau, comme message.

Andréa vient de Noisy-le-sec, pas loin. Elle entend notre conversation et s’y glisse : « Moi aussi je ne suis pas une de ses fans, à part “Mi corazón” je ne connais pas trop ses chansons. A la base, avec mes copines on ne savait même pas qu’elle venait, on voulait juste prendre un tacos mais on ne peut pas du coup parce l’accès est bouclé, on a super faim. »

Echauffourées, lancer de cannette et baisser de rideau

Plus le temps passe, plus la foule s’agrandit. En plus des ados, il y a aussi beaucoup de parents qui accompagnent leurs enfants, des petits qui semblent avoir entre 5 et 10 ans, fans de Marwa Loud visiblement. Salima est la maman d’Inaya, 9 ans : « Ma fille l’écoute tout le temps et à force je connais un peu aussi, dès qu’on monte dans la voiture c’est ce qu’on est tous obligé d’écouter. Donc pour lui faire plaisir je l’ai accompagnée ici ». Salima a aussi amené le petit frère d’Inaya. La maman prévient sa fille : « Si elle n’est pas là dans les 10 minutes, Inaya, on s’en va. Il fait trop chaud, c’est un coup à faire un malaise ».

Et puis, vers 17 heures, le soulagement. Marwa Loud finit par arriver. Tout le monde sort son téléphone pour filmer. On ne peut s’empêcher de penser à une de ses citations, dans l’ouvrage Temps perdu : « J’suis toute petite mais j’ai cassé toute les portes ». Quand on fait un mètre les bras levés et qu’on a attendu tout ce temps pour finalement ne rien voir, il est vrai qu’on a presque l’impression d’avoir perdu son temps.

On ne voit donc rien, si ce n’est les images sur les écrans des téléphones des uns et des autres. La chanteuse prend quelques photos avec des enfants en priorité. Les gens poussent pour accéder aux premiers rangs. Tout le monde s’énerve, particulièrement les vigiles. La plupart des parents prennent leurs enfants et s’en vont. Premier mouvement de foule et tensions entre une partie de la foule et le service de sécurité. Marwa Loud disparaît. Certains lancent des rumeurs. « Askip, elle est cachée dans la cuisine, elle tape un tacos ». La foule se disperse.

Nous pensions être là pour un reportage léger, nous voilà dans une ambiance gilets jaunes, samedi oblige. La situation se calme, tout le monde revient, Marwa aussi. Elle prend de nouveaux quelques photos devant le photocall dédié. Cela dure quelques minutes, avant que son service de sécurité ne l’exfiltre de nouveau. Elle aurait été la cible d’un lancer de canette, un Sprite (sa mère ?) ou un Coca Zéro, nous n’avons pas le fin mot de l’histoire mais il s’agirait d’une canette de soda, nous ne sommes pas dans un fast-food pour rien.

Les Dom Juan du tieks n’ont pas fait chou blanc

Marwa Loud ne reviendra pas cette fois, elle est partie définitivement. Les employés du restaurant et les vigiles du centre commercial demandent à la foule de partir et refusent de répondre à nos questions. Les fans sont déçus. On retrouve Imène et Mariama, un peu résignées : « Bon, ça aura mis de l’ambiance dans notre après-midi mais les gens sont teubés, normalement on est tous là pour passer un bon moment, prendre quelques snaps et fin. Mais les haters sont partout, là c’est des mecs qui ont tout foutu en l’air. On sait qu’ils n’écoutent pas forcément Marwa Loud en plus, ça fout le seum. »

C’est vrai qu’il n’y a pas que des filles au milieu de cette foule. Salim est là, tout seul, avec son téléphone. Il fait un InstaLive, une diffusion en direct sur Instagram : « Je passais dans le coin et j’ai vu ça, c’est golri, qu’est-ce qu’elle fait là sérieux ? » Lorsqu’on lui demande pourquoi il partage ça en direct sur son compte Instagram, le jeune homme répond un peu sur la défensive. « Et toi, pourquoi tu es là ? Pour en parler à tes potes ? Ah pour un article ? Bah voilà, c’est pareil moi aussi je partage de l’info ». Dont acte.

On discute aussi avec un groupe de collégiens âgés de 13 à 15 ans. On leur demande, à eux aussi, ce qu’ils font là. La réponse fuse : « On répond à condition que tu ne mettes pas notre nom ou notre photo, flemme que nos daronnes tombent sur l’article… Et on a notre réputation à tenir, aussi ». Marché conclu, street cred oblige. Du coup, les langues se délient. « Nous on est clairement là par stratégie, on veut rencontrer des meufs. Quand on a vu l’événement sur Snap, on s’est dit que c’était parfait pour trouver la femme de notre vie. » Et du coup, ça a fonctionné ? « Ouais, en vrai, lui là il a récupéré un numéro de téléphone, lui un Snap. Pas mal, pas mal mais il y en a plein qui sont venus avec leurs mamans et nous on est timide face aux mamans, t’as capté ? ». Oui, oui on a bien capté.

Nous étions aussi venus pour obtenir une dédicace pour le Bondy Blog. Le plan a clairement échoué. Bien que cette rencontre ne se soit pas passée tout à fait comme prévu, les personnes que nous avons rencontrées en gardent tout de même un bon souvenir. « Ça a animé la journée et puis finalement tout le monde va bien », relativise Anissa.

Marwa Loud, elle, n’a pas partagé cette rencontre sur ses réseaux. « A mon avis, elle va faire une story hyper vénère sur le retour », spécule une fan. Et finalement, pas du tout, elle s’est snappée tout de suite après en train de chanter dans sa voiture. Tout est bien qui finit bien. Bref, c’était Marwa Loud au O’Tacos de Rosny 2.

De notre envoyée spéciale à Rosny 2, Sarah ICHOU

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A cinq dans un F2 : la quatorzaine impossible

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Ani* n’aime pas se plaindre. Elle ne s’est pas plainte quand il a fallu quitter toute sa vie en Arménie pour suivre sa mère malade en France. Ni quand il a fallu apprendre le français en un temps record. Non plus quand il fallait prendre deux bus, un tram et un RER pour aller à l’école.

Sauf que là, c’est trop pour la jeune fille de 16 ans. Avec la timidité et la pudeur qu’elle dégage, elle raconte qu’elle ne sait pas comment elle va survivre à ce confinement.

Ani habite à Gagny, en Seine-Saint-Denis. Dans un appartement dont elle ne connaît pas les dimensions mais qui est, à n’en pas douter, beaucoup trop petit. Un F2 dans une tour de quatorze étages. Une chambre, un salon, une cuisine et une salle de bain. Le tout pour cinq personnes : sa mère, sa grande sœur, sa tante, son oncle et elle. Mais, là encore, Ani ne veut pas s’en plaindre : « certains vivent dans la rue », se justifie-t-elle.

Oui, mais là, le problème est plus grave. La promiscuité l’expose plein phares à la contamination par le Covid-19. Et pour cause : sa tante a contracté le virus.

Une fille au parcours admirable

Ani, nous l’avions rencontrée pour la première cet été, pour discuter éducation aux médias. C’était dans le cadre d’un programme d’école ouverte. Avec un petit groupe d’élèves volontaires, nous avions échangé sur leur rapport aux médias, les fake news, la prise de parole en public. Bref, un petit atelier comme on en fait toute l’année. Ani était là tous les jours. Elle arrivait en avance et partait la dernière.

Elle ne parlait pas beaucoup mais un jour elle a pris la parole pour nous raconter son histoire. Celle d’une ado arrivée en France il y a quatre ans. Elle nous a parlé de l’exil, de la douleur de quitter ses habitudes ainsi qu’une partie de sa famille, ses amis, son pays. Elle nous a aussi donné sa définition de l’intégration, dont on entend tellement parler.

Il y a quelques jours, le BB a reçu un message privé d’Ani sur Instagram. Elle s’est rappelée de la séance où on parlait de vérification des sources, de fact-checking et de fake news. Elle ne savait plus comment on faisait alors, elle nous a demandé de l’aider. « Est-ce que c’est vrai que les pharmaciens ont des masques mais qu’ils risquent 20 ans de prison s’ils en vendent ? » C’est comme ça qu’Ani nous a alors expliqué qu’elle était face à un problème de taille. Sa tante de 37 ans, est atteinte du Covid-19.

Elle veut bricoler ses propres masques

Comme la maman d’Ani, sa tante est aussi atteinte d’une maladie génétique des reins. Une pathologie qui demande des séances de dialyses trois fois par semaine, à l’hôpital. Elle pense avoir contracté le virus lors d’une de ces prises en charge. Elle a été testée positive dans ce même hôpital et renvoyée chez elle après trois jours d’hospitalisation. Probablement par manque de lit, par manque de place. Sauf que « chez elle », c’est dans ce fameux appartement minuscule. Elle n’a plus de fièvre mais tousse encore.

Ani s’est renseignée, elle a lu des choses sur la distanciation sociale. Idéalement, il faudrait que sa tante se confine dans une pièce à part. Idéalement… Comme souvent, en pratique c’est bien plus compliqué. Et dans le cas d’Ani, c’est carrément impossible. Ani dort dans la chambre avec sa tante et sa soeur de 19 ans. Les autres membres de la famille dorment dans le salon. Alors, l’adolescente s’est dit qu’elle allait essayer de se protéger avec des masques, sauf qu’elle n’en a pas trouvés. Elle pense en fabriquer elle-même.

La situation est particulièrement intenable, elle le dit.

Et parce qu’elle ne semble pas avoir d’autre choix, elle se montre réaliste : « Je suis sûre que toute ma famille va tomber malade du coronavirus. Je l’ai peut-être même déjà eu, j’ai été très malade il y a 15 jours. Je n’ai pas été chez le médecin et ça a fini par passer tout seul, mais quand j’y repense j’ai eu pas mal de symptômes. Heureusement, ça va mieux. »

Ça va tellement mieux qu’elle suit, malgré tout, ses cours à distance. Ani a intégré un lycée professionnel en septembre dernier pour suivre une formation d’esthétique. La voie qu’elle a toujours rêvé d’emprunter.

Quand on lui demande comment se passent les cours à distance, elle nous raconte que son établissement lui a prêté une tablette pour pouvoir suivre techniquement, « mais c’est dur de se concentrer, au début j’avais plus l’impression de me sentir en vacances qu’à l’école. » Elle se reprend tout de suite : « J’aime tellement mes cours que j’essaye de rester déterminée pour réussir ». Et puis, ajoute-t-elle, l’école à la maison lui permet d’éviter les deux bus, le tram et le RER pour aller en cours. Comme quoi, quand on n’est pas de nature à se plaindre, l’optimisme reste parfois la seule arme, même en temps de crise.

Sarah ICHOU

*Le prénom a été modifié

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Enceintes et confinées : le gros stress

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Pendant que l’actualité est rythmée par le décompte des morts, la vie continue et elle continue d’être donnée. « Malgré tout », comme nous le répétera Sophia tout au long de notre discussion. Malgré tout, donc, Sophia est enceinte.

Dans le contexte sanitaire actuel, Sophia est considérée comme étant une personne « à risque » face au Covid-19. Alors elle a entamé le confinement bien avant qu’il ne soit annoncé par le président de la République. Cette trentenaire n’a pas mis un pied dehors depuis tellement longtemps qu’elle ne se souvient plus de la date. C’est son mari qui gère les courses, « Je n’ai même pas savouré le kif des caisses réservées aux femmes enceintes », sourit-elle.

Sophia est enceinte de cinq mois. Son accouchement est prévu pour le mois d’août. Un petit garçon ? Une petite fille ? Elle n’en sait rien puisqu’elle n’a pas pu passer la fameuse échographie morphologique qui détermine, entre autres, le sexe de l’enfant. « Soyons clair, ce qui me préoccupe le plus, ce n’est pas de savoir si ma fille va avoir une petite soeur ou un petit frère, nuance-t-elle. Non, je veux juste savoir si mon enfant va bien, si ma grossesse se passe bien. Et pour l’instant, je n’ai aucun moyen de m’en assurer. »

Je culpabilise d’attendre un bébé et de leur rajouter du boulot

Elle avait bien pris son rendez-vous pour cette fameuse écho et pour une prise de sang. Sauf que toutes ses convocations étaient fixées dans les premiers jours du confinement : « J’ai énormément hésité avant de prendre la décision de ne pas y aller, parce que ce n’est pas anodin, ce n’est pas comme si j’annulais un rendez-vous chez l’ophtalmo ou le dermato. C’est une décision lourde. »

Elle a donc appelé son hôpital pour informer les médecins de sa décision. Ces derniers lui ont répondu qu’ils comprenaient et qu’un gynécologue la contacterait pour une consultation téléphonique. Un mois plus tard, elle n’a reçu aucun coup de fil : « Après plusieurs tentatives, j’ai pu m’entretenir avec la cheffe de service. Elle m’a expliqué que c’était un malentendu, que personne n’était censé m’appeler… Je ne suis pas folle, évidemment qu’on m’a dit qu’on allait m’appeler ! Franchement, j’ai senti que la dame était complètement dépassée, limite je culpabilise d’attendre un bébé et de leur rajouter du boulot. »

Anissa, elle aussi, est enceinte et maman d’une petite fille. Elle en est à son septième mois de grossesse. Comme Sophia, la jeune trentenaire a annulé plusieurs rendez-vous en ces temps de crise. « J’ai super mal au dos en ce moment, cite-t-elle en exemple. En temps normal, je serais passée voir mon osthéo, évidemment là je laisse tomber. Idem pour les rendez-vous de préparation à l’accouchement. Heureusement que c’est ma deuxième grossesse. »

La crainte d’un accouchement sans le papa

Une expérience qui ne l’empêche pas de nourrir certaines angoisses au vu du contexte actuel. Et si elle attrapait le Covid-19, par exemple, quels risques encourraient-ils, elle et son bébé ? « Forcément, tu te demandes comment ça se passe », reconnaît-elle. Alors, Anissa arpente Internet pour se renseigner « On parle très peu des femmes enceintes en ce moment dans les médias, alors on va chercher les infos nous-mêmes. On ne connaît absolument pas les conséquences que ça peut avoir sur notre bébé. Je lis certains articles qui disent que ce n’est pas nocif pour les nouveaux-nés, d’autres qui disent que certains bébés sont nés en Chine avec des essoufflements à la naissance… »

En plus de ces questions médicales, Anissa s’interroge sur la logistique. Sur tous les à-côtés, ces petits détails qui rendent le moment magique. « Ça peut sembler anecdotique, mais il y a tous les petits plaisirs de la grossesse qui tombent à l’eau aussi : aller faire ses achats de naissance, préparer la chambre du bébé, énumère-t-elle. Tout ça, c’est mort. » 

L’essentiel est ailleurs, néanmoins. Anissa et les autres futures mamans espèrent d’abord que leur accouchement se passe bien, en toute sécurité pour elles et leurs bébés. Au vu de la situation actuelle d’engorgement des hôpitaux, l’accouchement en lui-même va s’en trouver modifié. « Il semblerait que l’accouchement soit prévu sans la présence du papa, croit-elle savoir. Ce n’est pas rassurant du tout, évidemment. J’espère que d’ici juin, j’aurai le droit d’avoir mon mari avec moi dans la salle d’accouchement. »

Un sentiment d’abandon

Anissa évoque une autre modification liée à la crise sanitaire : « Parmi les mesures prises, à priori les mamans sont hospitalisées clairement moins longtemps : 2 jours plutôt que 3 pour un accouchement par voie basse et 3 jours plutôt que 5 pour une césarienne. D’un côté, ce n’est pas plus mal si ça peut désengorger les hôpitaux. De l’autre, ça m’inquiète parce que concrètement, si ça ne se passe pas comme prévu à la maison, on fait comment ? »

Elle poursuit : « Je n’ai reçu aucune recommandation, aucune info du CHU sur les précautions à prendre quand il faudra y aller. Les mesures barrières, on les connaît toutes mais est-ce qu’il y a des mesures particulières pour nous, femmes enceintes ? On n’en sait rien. Alors oui, c’est flippant. Sincèrement, j’aimerais être épanouie comme le cliché de la femme enceinte qu’on nous a vendu toute notre vie mais là, on en est loin. »

Sophia complète : « Je tire mon chapeau au personnel hospitalier, on les applaudit tous les soirs et je ne pense pas que ce soit de leur faute, eux qui travaillent sans relâche. Non, ce que je déplore, c’est le système. On est totalement oubliées, et ensuite ça fait des grands discours genre ‘on ne laissera personne de côté’, ‘la continuité des soins’… Franchement, c’est très grave ce qui est en train de se passer. »

Fatalement, Anissa comme Sophia devront affronter la réalité et se rendre à l’hôpital dans les jours et les semaines à venir pour préparer le jour J. « Dans mon cas, je risque de voir ma place sauter si je n’y vais pas, et sincèrement je n’ai pas envie d’accoucher dans mon salon », explique Sophia. La grossesse ne durant que 9 mois, coronavirus ou pas, elles se disent conscientes qu’elles ne pourront pas repousser cette échéance-là. Malgré tout.

Sarah ICHOU

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Sabrina, l’infirmière qui a commencé sa carrière en mars 2020

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Sabrina se souviendra sûrement à vie de son début de carrière. Officieusement, cela fait trois ans que la jeune femme de 25 ans apprend le métier d’infirmière. Et trois mois qu’elle met en pratique tout ce qu’elle a appris au milieu de la plus grande crise sanitaire de l’histoire récente du pays.

Juste avant le début du confinement, elle a passé ses derniers examens, rendu son mémoire de fin d’études, trouvé son ultime stage. Et puis tout s’est bousculé avec la pandémie. Son stage a notamment été annulé. Pas question pour autant de chiller en pyjama sur Netflix : « Mon école a dû envoyer certains de ses élèves au front. J’ai déjà cumulé quelques expériences alors quand on m’a contactée pour me proposer d’aider dans cette crise, j’ai naturellement répondu présente. Ce n’était pas obligatoire mais je n’allais quand même pas rester chez moi les bras croisés ».

Une infirmière normale dans une période anormale

C’est comme ça que Sabrina s’est retrouvée, en blouse, dans plusieurs hôpitaux parisiens où elle alternait les gardes. A cause de son asthme, la jeune femme n’a pas pu intégrer les unités spécifiquement liées au Covid-19. Elle a été affectée « dans les services qu’on peut considérer comme ‘normaux’ en ce moment » : pédiatrie, cardiologie, cancérologie…

Ne pas soigner de malades infectés par le virus ne l’a pas empêchée d’y être directement exposée : « Combien de fois je me suis occupée de patients toute la nuit pour apprendre que 2 heures après mon départ, ils étaient testés positifs au coronavirus, raconte-t-elle. Idem pour les collègues malades. On mange ensemble, on partage les mêmes espaces et on apprend ensuite qu’untel l’avait. Ce sont les risques du métier comme on dit… »

On s’apprête à relancer la discussion, à dérouler nos questions mais Sabrina n’a pas tout à fait terminé : « Notre métier comporte des risques, on les connaît et on les accepte. Ce que je n’accepte pas, ce sont les conditions déplorables de travail. Déjà que dans les unités Covid, les protections étaient restreintes, t’imagines bien que dans les autres services c’était encore pire. La pénurie de masques était réelle, je me suis retrouvée plus d’une fois à court de masques, en pleine nuit. Je parle là de masques chirurgicaux évidemment ; les FFP2, j’en n’ai pas vu beaucoup. J’ai notamment travaillé dans une clinique privée du 93, c’était tellement la merde que pour gérer au mieux les stocks (si on peut appeler ça comme ça), les masques étaient dans le coffre-fort où l’on cache les drogues comme la morphine. C’était surréaliste. »

Sabrina habite encore chez ses parents, à Drancy. Ça ne se voit pas tout de suite avec sa petite taille et son visage juvénile mais elle est l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. Elle partageait jusqu’ici sa chambre avec une de ses petites soeurs. Cette dernière a subi plusieurs lourdes opérations et fait ainsi partie des personnes considérées « à risque » face au Covid-19.

Alors, Sabrina a déménagé au sous-sol de la maison : « Ça me permet de passer directement par là quand je rentre. Je me suis imposée un protocole strict : je mets du gel hydroalcoolique dans la voiture, je retire mes chaussures dehors, je me lave tout de suite les mains quand je rentre, je mets mes vêtements à la machine, je prends une douche tout de suite et là seulement je peux rejoindre les autres… Et encore, de loin. »

Si tu meurs t’auras aidé les autres, c’est bien, mais nous on t’aura perdue toi

Plus de bisous, de câlins ou de chamailleries entre frères et soeurs, Sabrina raconte que l’ambiance est étrange à la maison depuis le début de la pandémie : « En fait, c’est dur de trouver le juste milieu entre mes convictions professionnelles et cette sorte de culpabilité familiale. Je sais qu’à la maison on m’en veut un peu de travailler parce que je ne suis pas ‘obligée’ de le faire. Je sais que mes parents ont peur pour moi, peur que je transmette le virus à mes frères et soeurs. Ma mère me dit souvent ‘Si tu meurs t’auras aidé les autres, c’est bien, mais nous on t’aura perdue toi’… C’est dur de faire face à tout ça aussi ».

L’infirmière nous parle ensuite de la peur. Celle d’attraper le virus, celle de le transmettre, celle de ne plus pouvoir assurer ses permanences. Une peur qui n’est jamais partie très loin : « Je n’ai pas tellement peur en allant travailler mais plutôt sur le retour. Je me refais ma journée dans ma tête, j’essaye de me rappeler à chaque fois si je me suis bien protégée, est-ce que je ne vais pas refiler un truc à ma famille… Au moindre petit symptôme, je flippe à l’idée de rester clouée au lit, chez moi, proche des miens. Donc voilà, cette peur est là, tout le temps, mais on apprend à vivre avec. »

Sabrina a toujours voulu travailler dans le domaine médical. Les allers-retours à l’hôpital Necker pour sa petite soeur y sont pour beaucoup. Elle raconte que cette crise a confirmé qu’il s’agissait bien d’une vocation : « On est mal payé, peu considéré, il n’y a pas tellement d’avantages finalement. Alors oui, je pense que c’est un métier qui ne marche que par vocation. »

S’excuser d’être soi-même hospitalisée : check

Pour un souci de santé indépendant du Covid-19, elle a dû passer quelques jours à l’hôpital elle aussi, cette fois dans le rôle de la patiente. « C’est simple, ça a été la seule fois où j’ai pleuré depuis le début de cette crise, avoue-t-elle. Pourtant, je suis plutôt solide émotionnellement mais je m’en suis voulue d’être hospitalisée à cette période. J’ai carrément envoyé un message à ma cadre pour m’excuser. Je savais que mes collègues avaient besoin de renfort, alors il était insupportable de me retrouver impuissante. Certaines infirmières plus expérimentées me disent que c’est la ‘fraîcheur’, l’aspect ‘nouveau’, qui explique cette adrénaline. Peut-être bien. Une chose est sûre, j’espère que cette passion ne me quittera jamais ».

Autre événement qui l’aura marquée ces dernières semaines : cette nuit de garde où elle intercepte un patient qui s’apprête à sortir de sa chambre, sans raison particulière. « C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup, sourit-elle. Je n’ai fait que des gardes nocturnes et forcément la nuit, c’est relativement silencieux. Ce soir-là ce patient m’a surpris en ouvrant la porte de sa chambre brusquement. Je ne sais pas ce qu’il voulait faire mais je savais qu’il n’avait pas le droit de sortir. Et surtout, je savais qu’il avait partagé sa chambre avec un monsieur mort du corona. Alors, j’ai paniqué. J’ai eu peur, ça a été très vite dans ma tête : je n’étais pas équipée, je ne savais pas où il allait…

Je lui ai ordonné de rejoindre sa chambre le plus vite possible. Je lui ai parlé de manière vive et automatique. Moi, Sabrina, j’ai presque oublié d’être polie. Bah ça, tu vois, c’est tout bête hein mais j’y ai pensé pendant 15 jours. 15 vrais jours où j’ai cogité, culpabilisé. Finalement, je pense que c’est le contexte qui fait qu’on est poussé à bout. Certaines craquent et se mettent en arrêt. Je les comprends, c’est épuisant, entre le masque qui étouffe et les tenues qui tiennent chaud. Psychologiquement, c’est très dur ».

Une chose est sûre : on n’en peut plus

Malgré tout, Sabrina a tenu pendant cette période de crise. Elle a essentiellement travaillé la nuit d’ailleurs. Ses horaires ? 19h30-7h30 dans certains établissements, 21h30-7h dans d’autres. Intense pour un début de carrière. « C’est clair que c’est… formateur, glisse la jeune femme. A l’école, on nous prépare aux situations hardcore (sic), on est préparé à la mort par exemple, mais pas autant. Là, carrément on m’a déjà dit ‘Ne regarde pas par la fenêtre, il y a trop de morts’. »

Pour la jeune professionnelle qu’elle est, la situation est marquante. «Evidemment que c’est violent, reconnaît-elle. On fait ce métier pour sauver des vies, sauf que là on s’est retrouvé à accompagner les gens vers la mort. On a souvent été la dernière personne que le patient a côtoyée. Alors personnellement, j’ai essayé d’être là avec douceur et gentillesse. » Elle marque un temps d’arrêt et reprend : « Tu sais, on nous appelle ‘les petites mains du médecin’ mais non, je suis désolée, je ne suis pas une petite main moi. On est plus que ça. La plupart du temps, on est la psy, l’amie, la confidente. On connaît la famille du patient, le nom de son chien, où sont ses grains de beauté… et c’est souvent nous qui découvrons malheureusement le patient mort ».

Avec le recul de l’épidémie, le nombre de morts a chuté mais l’infirmière ne connaît pas encore le répit : « Je suis tellement épuisée… J’ai pris quelques jours de repos, je ne tenais plus. Continuer à ce stade-là, c’était irresponsable, j’avais peur de faire une connerie. S’il y a une deuxième vague, je ne sais pas comment on va faire. »

C’est vrai que cette discussion est passionnante mais elle aura duré trois heures. Beaucoup trop ? La retranscription fut longue, oui, mais en vérité on aurait pu continuer encore trois heures de plus tant Sabrina est captivante.

Et la politique dans tout ça ? En deux mots ? « En deux mots c’est impossible, en deux gros mots peut-être ?, dit-elle dans un fou rire. Non, plus sérieusement, cette reconnaissance doit avant être politique. Il n’est pas normal qu’on se soit retrouvé à court de masques, de médecins, de lits, de respirateurs, de tout. Il n’est pas normal que les multiples alertes, les manifestations récentes n’aient pas trouvé d’écho politique. Il n’est pas normal qu’un étudiant infirmier gagne 250 euros par mois. Il n’est pas normal qu’il faille une pandémie pareille pour que tout le monde réalise qu’on existe, tout simplement ». Tout simplement.

Sarah ICHOU

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Mathieu Magnaudeix (Mediapart) clôture la saison de Masterclass au BB

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Il se revendique correspondant de Mediapart au « Trumpistan ». En ce moment à Paris, Mathieu Magnaudeix sera à Bondy ce samedi 27 juin pour une masterclass qui s’annonce d’ors et déjà passionnante. Après être passé par France Bleu, l’AFP, Libé, Challenges, il travaille pour Mediapart depuis 2008. Il y a notamment suivi l’actualité économique en pleine crise et couvert la révolution tunisienne.

Mathieu Magnaudeix écrit aussi des livres : Tunis Connection (2012), Macron & Cie (2017), Génération Ocasio-Cortez, les nouveaux activistes américains (2020).  Il a également co-fondé l’Association des journalistes LGBT (AJL).

Vous vous demandez quand est-ce qu’il dort ? Nous aussi. On lui demandera samedi. Vous venez ?

Pour les inscriptions, ça se passe comme d’habitude par mail à masterclass@bondyblog.fr !

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« Jongler, c’est l’histoire de notre vie »

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Que ce soit avec un ballon classique, en caoutchouc, en mousse ou en plastique, on a toutes et tous déjà jonglé au moins une fois dans notre vie. Ou plutôt, on a toutes et tous déjà essayé de jongler. Et parce que la street a tendance à s’adapter à toutes les situations, quand il n’y a pas de balle, ça jongle avec ce qui traîne : une canette, une bouteille d’eau, des clés ou un bâton de bois. Vous connaissez « Foot 2 rue » ? Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit d’une véritable référence en dessin animé dans nos quartiers.

Entre les talents qui en viennent, l’importance des clubs amateurs, des Five, des city-stades, des compétitions et cette passion pour le jeu FIFA, le lien entre foot et quartiers populaires n’est plus à prouver à personne. Ce lien est vieux comme le monde et dépasse bien évidemment les frontières.

Au milieu des années 60, en Algérie, il n’y a ni FIFA ni city-stade. Par contre, un objet dédié aux jongles y fait son apparition : le pitchak, soit un assemblage de matériaux aussi improbables soient-ils : des chambres à air de vélo, du plastique, du caoutchouc et des bouts de ficelles. Tout ça réuni a donné lieu à un petit objet qui permettait aux gamins de s’amuser à jongler. Parmi ces enfants, il y avait un des fondateurs du footshake qui a recyclé l’idée à la sauce 2020.

Au milieu de l’objet, une puce qui compte les jongles

Le footshake est présenté comme un objet compact et facilement transportable grâce à sa souplesse et son poids plume. Plus léger qu’un smartphone (120 grammes) et plus maniable qu’un ballon, il s’agit toujours d’un jeu dédié aux jongles qui ressemble à son ancêtre, le pitchak. Les bouts de ficelles en moins, une dimension digitale en plus.

Julien Piwowar fait partie de la start-up Footshake. Il a travaillé sur toute la partie informatique de ce produit qu’il décrit comme « phygital », c’est-à-dire qui mêle physique et digital. On vous explique : au centre du footshake, il y a une puce. Celle-ci donne la possibilité de connecter l’objet à un téléphone, via une application mobile. Cette fonctionnalité permet de comptabiliser le nombre de jongles en direct, de savoir combien de calories sont brûlées et surtout de faire partie de la communauté footshake, c’est-à-dire de jouer en ligne et défier des joueurs du monde entier.

« C’était vraiment important pour nous de lier physique et digital, explique Julien. C’est ce qui fait l’originalité du footshake. Il est important d’avoir une activité sportive et de sortir un peu de sa chambre et de sa Play. Mais d’un autre côté, le digital fait partie de nous aujourd’hui et il permet des choses géniales : surveiller son évolution physique en l’occurrence, se connecter avec d’autres joueurs… Alors, on a tout fait pour mêler les deux. »

Il y a quatre ans, lorsqu’on lui a parlé du footshake, Youness Bourimech raconte ne pas avoir hésité une seconde avant de s’y engager, il parle même d’un « véritable coup de foudre ». A Bondy, Youness est considéré comme une figure locale de l’entrepreneuriat. Dès l’âge de 21 ans, il ouvre sa première entreprise. Celle-ci s’inscrit dans le domaine du nettoyage, il investira ensuite dans le BTP, la restauration, la production musicale… Une sorte de serial entrepreneur local.

Renouer avec une tradition enfantine

« J’ai tout de suite trouvé ce projet très excitant pour plein de raisons, notamment parce que ça me faisait repousser mes limites, encore un peu plus. C’est la première fois que j’investis dans un projet digital, dans une start-up aussi. Bien que la start-up nation, je l’ai toujours incarnée finalement à travers mon travail et mon expérience mais sans forcément le formuler et l’assumer. »

Par ailleurs, Youness Bourimech rappelle que le sport est quelque chose qui lui parle et lui tient à coeur depuis toujours. En club et à l’école, il étudie le sport, joue et entraîne au handball. Au quartier, à Bondy, il joue aussi beaucoup au football. « Dans tous les cas, jongler faisait partie de notre quotidien ici, c’est un peu une base, on jonglait avec tout ce qu’on avait sous la main. C’est quelque chose que tu peux à fois faire en groupe et tout seul.

Je me souviens, quand tu étais petit et ponctuel, bah tu attendais tes potes pour jouer au foot, en attendant tu jonglais, quand ils arrivaient bah tu pouvais continuer avec des défis de jongle. C’est pareil pour le footshake d’ailleurs tu peux y jouer avec tes potes dans la vraie vie ou de loin, tu peux y jouer tout seul. Et puis jongler c’est l’histoire de notre vie aussi, on jongle entre les milieux professionnels et sociaux par exemple. »

Youness est très attaché à sa ville natale, Bondy. Alors, lorsqu’il a fallu tester le produit c’est naturellement qu’il l’a proposé, en exclusivité, ici : « On l’a mis entre les mains des petits au quartier, à l’ASB (le club de foot de Bondy, ndlr), et ça leur a tout de suite plu. Ça se défiait, ça se charriait ! » Julien complète : « Ce que je trouve génial aussi avec le footshake, c’est qu’on met tout le monde sur un pied d’égalité ! L’objet est nouveau, sa taille et sa forme sont spécifiques. C’est aussi nouveau pour un joueur pro, un freestyleur ou un jeune de Bondy de 13 ans. »

Dès son lancement, le footshake a été soutenu par le PSG, qui a commercialisé un footshake à ses couleurs en juin. Des collaborations avec d’autres clubs internationaux sont en cours de négociation. Le prochain objectif des entrepreneurs ? Faire entrer le footshake  dans les entreprises et faire de l’objet la prochaine table de ping-pong ou le prochain tapis de yoga des pauses déj’ et autres. D’ici là, le footshake est entre les mains, et surtout entre les pieds, des jeunes Bondynois. Et c’est aussi très bien comme ça.

Sarah ICHOU

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Sabrina, l’infirmière qui a commencé sa carrière en mars 2020

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Article initialement publié le 9 juin 2020

Sabrina se souviendra sûrement à vie de son début de carrière. Officieusement, cela fait trois ans que la jeune femme de 25 ans apprend le métier d’infirmière. Et trois mois qu’elle met en pratique tout ce qu’elle a appris au milieu de la plus grande crise sanitaire de l’histoire récente du pays.

Juste avant le début du confinement, elle a passé ses derniers examens, rendu son mémoire de fin d’études, trouvé son ultime stage. Et puis tout s’est bousculé avec la pandémie. Son stage a notamment été annulé. Pas question pour autant de chiller en pyjama sur Netflix : « Mon école a dû envoyer certains de ses élèves au front. J’ai déjà cumulé quelques expériences alors quand on m’a contactée pour me proposer d’aider dans cette crise, j’ai naturellement répondu présente. Ce n’était pas obligatoire mais je n’allais quand même pas rester chez moi les bras croisés ».

Une infirmière normale dans une période anormale

C’est comme ça que Sabrina s’est retrouvée, en blouse, dans plusieurs hôpitaux parisiens où elle alternait les gardes. A cause de son asthme, la jeune femme n’a pas pu intégrer les unités spécifiquement liées au Covid-19. Elle a été affectée « dans les services qu’on peut considérer comme ‘normaux’ en ce moment » : pédiatrie, cardiologie, cancérologie…

Ne pas soigner de malades infectés par le virus ne l’a pas empêchée d’y être directement exposée : « Combien de fois je me suis occupée de patients toute la nuit pour apprendre que 2 heures après mon départ, ils étaient testés positifs au coronavirus, raconte-t-elle. Idem pour les collègues malades. On mange ensemble, on partage les mêmes espaces et on apprend ensuite qu’untel l’avait. Ce sont les risques du métier comme on dit… »

On s’apprête à relancer la discussion, à dérouler nos questions mais Sabrina n’a pas tout à fait terminé : « Notre métier comporte des risques, on les connaît et on les accepte. Ce que je n’accepte pas, ce sont les conditions déplorables de travail. Déjà que dans les unités Covid, les protections étaient restreintes, t’imagines bien que dans les autres services c’était encore pire. La pénurie de masques était réelle, je me suis retrouvée plus d’une fois à court de masques, en pleine nuit. Je parle là de masques chirurgicaux évidemment ; les FFP2, j’en n’ai pas vu beaucoup. J’ai notamment travaillé dans une clinique privée du 93, c’était tellement la merde que pour gérer au mieux les stocks (si on peut appeler ça comme ça), les masques étaient dans le coffre-fort où l’on cache les drogues comme la morphine. C’était surréaliste. »

Sabrina habite encore chez ses parents, à Drancy. Ça ne se voit pas tout de suite avec sa petite taille et son visage juvénile mais elle est l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. Elle partageait jusqu’ici sa chambre avec une de ses petites soeurs. Cette dernière a subi plusieurs lourdes opérations et fait ainsi partie des personnes considérées « à risque » face au Covid-19.

Alors, Sabrina a déménagé au sous-sol de la maison : « Ça me permet de passer directement par là quand je rentre. Je me suis imposée un protocole strict : je mets du gel hydroalcoolique dans la voiture, je retire mes chaussures dehors, je me lave tout de suite les mains quand je rentre, je mets mes vêtements à la machine, je prends une douche tout de suite et là seulement je peux rejoindre les autres… Et encore, de loin. »

Si tu meurs t’auras aidé les autres, c’est bien, mais nous on t’aura perdue toi

Plus de bisous, de câlins ou de chamailleries entre frères et soeurs, Sabrina raconte que l’ambiance est étrange à la maison depuis le début de la pandémie : « En fait, c’est dur de trouver le juste milieu entre mes convictions professionnelles et cette sorte de culpabilité familiale. Je sais qu’à la maison on m’en veut un peu de travailler parce que je ne suis pas ‘obligée’ de le faire. Je sais que mes parents ont peur pour moi, peur que je transmette le virus à mes frères et soeurs. Ma mère me dit souvent ‘Si tu meurs t’auras aidé les autres, c’est bien, mais nous on t’aura perdue toi’… C’est dur de faire face à tout ça aussi ».

L’infirmière nous parle ensuite de la peur. Celle d’attraper le virus, celle de le transmettre, celle de ne plus pouvoir assurer ses permanences. Une peur qui n’est jamais partie très loin : « Je n’ai pas tellement peur en allant travailler mais plutôt sur le retour. Je me refais ma journée dans ma tête, j’essaye de me rappeler à chaque fois si je me suis bien protégée, est-ce que je ne vais pas refiler un truc à ma famille… Au moindre petit symptôme, je flippe à l’idée de rester clouée au lit, chez moi, proche des miens. Donc voilà, cette peur est là, tout le temps, mais on apprend à vivre avec. »

Sabrina a toujours voulu travailler dans le domaine médical. Les allers-retours à l’hôpital Necker pour sa petite soeur y sont pour beaucoup. Elle raconte que cette crise a confirmé qu’il s’agissait bien d’une vocation : « On est mal payé, peu considéré, il n’y a pas tellement d’avantages finalement. Alors oui, je pense que c’est un métier qui ne marche que par vocation. »

S’excuser d’être soi-même hospitalisée : check

Pour un souci de santé indépendant du Covid-19, elle a dû passer quelques jours à l’hôpital elle aussi, cette fois dans le rôle de la patiente. « C’est simple, ça a été la seule fois où j’ai pleuré depuis le début de cette crise, avoue-t-elle. Pourtant, je suis plutôt solide émotionnellement mais je m’en suis voulue d’être hospitalisée à cette période. J’ai carrément envoyé un message à ma cadre pour m’excuser. Je savais que mes collègues avaient besoin de renfort, alors il était insupportable de me retrouver impuissante. Certaines infirmières plus expérimentées me disent que c’est la ‘fraîcheur’, l’aspect ‘nouveau’, qui explique cette adrénaline. Peut-être bien. Une chose est sûre, j’espère que cette passion ne me quittera jamais ».

Autre événement qui l’aura marquée ces dernières semaines : cette nuit de garde où elle intercepte un patient qui s’apprête à sortir de sa chambre, sans raison particulière. « C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup, sourit-elle. Je n’ai fait que des gardes nocturnes et forcément la nuit, c’est relativement silencieux. Ce soir-là ce patient m’a surpris en ouvrant la porte de sa chambre brusquement. Je ne sais pas ce qu’il voulait faire mais je savais qu’il n’avait pas le droit de sortir. Et surtout, je savais qu’il avait partagé sa chambre avec un monsieur mort du corona. Alors, j’ai paniqué. J’ai eu peur, ça a été très vite dans ma tête : je n’étais pas équipée, je ne savais pas où il allait…

Je lui ai ordonné de rejoindre sa chambre le plus vite possible. Je lui ai parlé de manière vive et automatique. Moi, Sabrina, j’ai presque oublié d’être polie. Bah ça, tu vois, c’est tout bête hein mais j’y ai pensé pendant 15 jours. 15 vrais jours où j’ai cogité, culpabilisé. Finalement, je pense que c’est le contexte qui fait qu’on est poussé à bout. Certaines craquent et se mettent en arrêt. Je les comprends, c’est épuisant, entre le masque qui étouffe et les tenues qui tiennent chaud. Psychologiquement, c’est très dur ».

Une chose est sûre : on n’en peut plus

Malgré tout, Sabrina a tenu pendant cette période de crise. Elle a essentiellement travaillé la nuit d’ailleurs. Ses horaires ? 19h30-7h30 dans certains établissements, 21h30-7h dans d’autres. Intense pour un début de carrière. « C’est clair que c’est… formateur, glisse la jeune femme. A l’école, on nous prépare aux situations hardcore (sic), on est préparé à la mort par exemple, mais pas autant. Là, carrément on m’a déjà dit ‘Ne regarde pas par la fenêtre, il y a trop de morts’. »

Pour la jeune professionnelle qu’elle est, la situation est marquante. «Evidemment que c’est violent, reconnaît-elle. On fait ce métier pour sauver des vies, sauf que là on s’est retrouvé à accompagner les gens vers la mort. On a souvent été la dernière personne que le patient a côtoyée. Alors personnellement, j’ai essayé d’être là avec douceur et gentillesse. » Elle marque un temps d’arrêt et reprend : « Tu sais, on nous appelle ‘les petites mains du médecin’ mais non, je suis désolée, je ne suis pas une petite main moi. On est plus que ça. La plupart du temps, on est la psy, l’amie, la confidente. On connaît la famille du patient, le nom de son chien, où sont ses grains de beauté… et c’est souvent nous qui découvrons malheureusement le patient mort ».

Avec le recul de l’épidémie, le nombre de morts a chuté mais l’infirmière ne connaît pas encore le répit : « Je suis tellement épuisée… J’ai pris quelques jours de repos, je ne tenais plus. Continuer à ce stade-là, c’était irresponsable, j’avais peur de faire une connerie. S’il y a une deuxième vague, je ne sais pas comment on va faire. »

C’est vrai que cette discussion est passionnante mais elle aura duré trois heures. Beaucoup trop ? La retranscription fut longue, oui, mais en vérité on aurait pu continuer encore trois heures de plus tant Sabrina est captivante.

Et la politique dans tout ça ? En deux mots ? « En deux mots c’est impossible, en deux gros mots peut-être ?, dit-elle dans un fou rire. Non, plus sérieusement, cette reconnaissance doit avant être politique. Il n’est pas normal qu’on se soit retrouvé à court de masques, de médecins, de lits, de respirateurs, de tout. Il n’est pas normal que les multiples alertes, les manifestations récentes n’aient pas trouvé d’écho politique. Il n’est pas normal qu’un étudiant infirmier gagne 250 euros par mois. Il n’est pas normal qu’il faille une pandémie pareille pour que tout le monde réalise qu’on existe, tout simplement ». Tout simplement.

Sarah ICHOU

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A cinq dans un F2 : la quatorzaine impossible

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Article initialement publié le 6 avril 2020

Ani* n’aime pas se plaindre. Elle ne s’est pas plainte quand il a fallu quitter toute sa vie en Arménie pour suivre sa mère malade en France. Ni quand il a fallu apprendre le français en un temps record. Non plus quand il fallait prendre deux bus, un tram et un RER pour aller à l’école.

Sauf que là, c’est trop pour la jeune fille de 16 ans. Avec la timidité et la pudeur qu’elle dégage, elle raconte qu’elle ne sait pas comment elle va survivre à ce confinement.

Ani habite à Gagny, en Seine-Saint-Denis. Dans un appartement dont elle ne connaît pas les dimensions mais qui est, à n’en pas douter, beaucoup trop petit. Un F2 dans une tour de quatorze étages. Une chambre, un salon, une cuisine et une salle de bain. Le tout pour cinq personnes : sa mère, sa grande sœur, sa tante, son oncle et elle. Mais, là encore, Ani ne veut pas s’en plaindre : « certains vivent dans la rue », se justifie-t-elle.

Oui, mais là, le problème est plus grave. La promiscuité l’expose plein phares à la contamination par le Covid-19. Et pour cause : sa tante a contracté le virus.

Une fille au parcours admirable

Ani, nous l’avions rencontrée pour la première cet été, pour discuter éducation aux médias. C’était dans le cadre d’un programme d’école ouverte. Avec un petit groupe d’élèves volontaires, nous avions échangé sur leur rapport aux médias, les fake news, la prise de parole en public. Bref, un petit atelier comme on en fait toute l’année. Ani était là tous les jours. Elle arrivait en avance et partait la dernière.

Elle ne parlait pas beaucoup mais un jour elle a pris la parole pour nous raconter son histoire. Celle d’une ado arrivée en France il y a quatre ans. Elle nous a parlé de l’exil, de la douleur de quitter ses habitudes ainsi qu’une partie de sa famille, ses amis, son pays. Elle nous a aussi donné sa définition de l’intégration, dont on entend tellement parler.

Il y a quelques jours, le BB a reçu un message privé d’Ani sur Instagram. Elle s’est rappelée de la séance où on parlait de vérification des sources, de fact-checking et de fake news. Elle ne savait plus comment on faisait alors, elle nous a demandé de l’aider. « Est-ce que c’est vrai que les pharmaciens ont des masques mais qu’ils risquent 20 ans de prison s’ils en vendent ? » C’est comme ça qu’Ani nous a alors expliqué qu’elle était face à un problème de taille. Sa tante de 37 ans, est atteinte du Covid-19.

Elle veut bricoler ses propres masques

Comme la maman d’Ani, sa tante est aussi atteinte d’une maladie génétique des reins. Une pathologie qui demande des séances de dialyses trois fois par semaine, à l’hôpital. Elle pense avoir contracté le virus lors d’une de ces prises en charge. Elle a été testée positive dans ce même hôpital et renvoyée chez elle après trois jours d’hospitalisation. Probablement par manque de lit, par manque de place. Sauf que « chez elle », c’est dans ce fameux appartement minuscule. Elle n’a plus de fièvre mais tousse encore.

Ani s’est renseignée, elle a lu des choses sur la distanciation sociale. Idéalement, il faudrait que sa tante se confine dans une pièce à part. Idéalement… Comme souvent, en pratique c’est bien plus compliqué. Et dans le cas d’Ani, c’est carrément impossible. Ani dort dans la chambre avec sa tante et sa soeur de 19 ans. Les autres membres de la famille dorment dans le salon. Alors, l’adolescente s’est dit qu’elle allait essayer de se protéger avec des masques, sauf qu’elle n’en a pas trouvés. Elle pense en fabriquer elle-même.

La situation est particulièrement intenable, elle le dit.

Et parce qu’elle ne semble pas avoir d’autre choix, elle se montre réaliste : « Je suis sûre que toute ma famille va tomber malade du coronavirus. Je l’ai peut-être même déjà eu, j’ai été très malade il y a 15 jours. Je n’ai pas été chez le médecin et ça a fini par passer tout seul, mais quand j’y repense j’ai eu pas mal de symptômes. Heureusement, ça va mieux. »

Ça va tellement mieux qu’elle suit, malgré tout, ses cours à distance. Ani a intégré un lycée professionnel en septembre dernier pour suivre une formation d’esthétique. La voie qu’elle a toujours rêvé d’emprunter.

Quand on lui demande comment se passent les cours à distance, elle nous raconte que son établissement lui a prêté une tablette pour pouvoir suivre techniquement, « mais c’est dur de se concentrer, au début j’avais plus l’impression de me sentir en vacances qu’à l’école. » Elle se reprend tout de suite : « J’aime tellement mes cours que j’essaye de rester déterminée pour réussir ». Et puis, ajoute-t-elle, l’école à la maison lui permet d’éviter les deux bus, le tram et le RER pour aller en cours. Comme quoi, quand on n’est pas de nature à se plaindre, l’optimisme reste parfois la seule arme, même en temps de crise.

Sarah ICHOU

*Le prénom a été modifié

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« Aymane était notre enfant à tous, c’est tout Bondy qui a mal »

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« Aymane était un ami, il faisait même de la boxe avec moi. C’était quelqu’un de bien, on l’aimait beaucoup ». Ce samedi après-midi, aux abords de l’espace Mandela, on compte autant de compliments dans les mots que de fleurs sur la grille du bâtiment, en mémoire du jeune athlète. La rue Louis-Auguste Blanqui, habituellement très bruyante, est calme. Pourtant il y a du monde. Les habitants de la ville s’arrêtent pour se recueillir, déposer des bouquets ou des affiches en hommage à Aymane, l’adolescent tué la veille dans cette maison de quartier.

Sanaa et Louisa ont 15 ans, elles se dirigent vers l’espace Mandela : « On se connaissait bien, on sortait souvent tous ensemble, il était tout le temps de bonne humeur, il aimait chanter, il était drôle. C’était vraiment quelqu’un de très très gentil, il était toujours là pour nous. On l’aimait beaucoup ».

Un jeune homme un peu timide mais très sociable et très touchant.

Aymane avait 15 ans. L’adolescent était passionné de boxe, et avait débuté un parcours prometteur au club ‘Chris Fight’ il y a trois ans. Christophe Hamza était son coach depuis ses premiers entraînements. « Il était passionné, il sortait avec le maillot du club même lorsqu’il n’y avait pas d’entraînement. C’était le premier arrivé, le dernier parti ».

« Hier nous avons tous perdu un enfant », signe une maman sur les murs de l’espace Nelson Mandela.

Christophe raconte sa fierté d’avoir vu Aymane remporter le titre de champion d’Ile-de-France de sa catégorie à l’automne dernier. Le jeune bondynois rêvait de devenir boxeur. Un objectif en bonne voie puisqu’il avait été qualifié pour les championnats de France, prévus à Marseille en avril prochain.

« Vous savez, dans la boxe il y a des valeurs fortes comme la discipline, la rigueur, la ponctualité ». Des valeurs auxquelles Aymane adhérait complètement d’après son coach, effondré par la nouvelle. « C’était un jeune homme un peu timide mais très sociable et très touchant. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je m’en souviens là d’un coup mais il était très proche de sa grand-mère ».

On n’a rien à dire sur l’éducation de ces garçons. 

Christophe raconte avec émotion le premier combat d’Aymane : « il avait gagné, évidemment. Il était fier de lui. Sa grand-mère et toute sa petite famille étaient là. Sa grand-mère a fondu en larmes, son père aussi, et du coup moi aussi ». Comme toutes les personnes qui connaissaient Aymane, de près ou de loin, Christophe décrit un garçon gentil, blagueur, souriant et serviable.

C’est ce que retient aussi Kamel*, 17 ans, croisé devant le terrain de foot du quartier Blanqui : « Je le côtoyais quand il passait jouer au foot avec nous. À chaque fois qu’il venait, il était souriant, il rigolait. Il faisait beaucoup de sport. Alors vous voyez, ça fait bizarre de se dire que ce mec s’est fait tirer dessus, juste là ».

Une maman s’arrête, « vous parlez de ce qui s’est passé avec Aymane ? C’est mon voisin, il habite dans un pavillon pas loin de chez moi. Sa famille est adorable, bien réputée. Les parents avaient deux garçons : Aymane, l’aîné et Rayane, le cadet. On n’a rien à dire sur l’éducation de ces garçons ».

Aymane c’est un boxeur, pas un bagarreur.

La mère de famille explique que son fils faisait de la boxe avec Aymane. « Ils partaient tout seuls. Ils quittaient l’entraînement tard, vers 22h, alors un des parents venait les chercher. Ils ne rentraient jamais seuls le soir ». Bouleversée, la maman finit par lâcher : « on n’a pas dormi cette nuit. C’est notre enfant à tous aujourd’hui Aymane, ça aurait pu être notre fils. Aujourd’hui c’est tout Bondy qui a mal. On est tous en deuil ».

Ce samedi 27 février, dans certains médias, Aymane était encore présenté comme « un jeune lié au trafic de stupéfiants, connu des services de polices locaux pour la fréquentation de points de deal ». Des propos unanimement contredits par toutes les personnes rencontrées ce samedi à Bondy.

Des fleurs et des mots de recueillement sur la grille de la maison de quartier.

Le jeune Kamel rebondit : « quand j’ai entendu ça ce matin sur BFM, je me suis dit ‘mais c’est quoi cette merde encore ?’. Il faisait de la boxe, c’est tout. C’était sa passion. Il était droit. Aymane c’est un boxeur, pas un bagarreur ».

Croisé aux abord de l’espace Mandela, Khalil se recueille lui aussi. Il est l’aîné d’une fratrie et sa sœur était dans le même collège qu’Aymane. « C’est ma plus petite soeur, c’est des bébés… », s’alarme le jeune homme de 25 ans.

Comme beaucoup Khalil est amer sur le traitement médiatique du drame : « malheureusement on n’est même plus étonnés, c’est une tendance des médias mainstream et des grandes chaînes d’info. ‘Connu des services de polices’ ? Mais ça veut tout et rien dire. On est dans des quartiers où on est 20 fois plus contrôlés que les autres, alors oui bien sûr la police nous ‘connaît’. »

Quand il se passe quelque chose d’aussi terrible, c’est violent pour tout le monde.

Émues, Inès et sa maman viennent de déposer leurs fleurs devant le lieu du drame. Inès avait croisé Aymane trois jours avant sa mort. Au lendemain de sa mort, Elle est abasourdie. « C’était l’ami d’une amie, je les ai croisés cette semaine, je lui ai dit bonjour et c’est tout. Mais Bondy c’est petit. On a tous l’impression de se connaître plus ou moins, c’est comme une petite famille. Alors, quand il se passe quelque chose d’aussi terrible, c’est violent pour tout le monde ». Sa maman, Assia, nous confie avoir fondu en larmes dès qu’elle a appris la nouvelle : « quand j’ai vu sa photo aux infos, je me suis immédiatement mise à la place de sa maman ».

Une ancienne animatrice du service jeunesse de la ville de Bondy se souvient, elle aussi, avec émotion de l’athlète. Elle a connu Aymane durant l’été 2017 : « il nous régalait, il était toujours de bonne humeur et surtout très poli ». Sur place, les animateurs rencontrés disent leur choc après cette nouvelle : « il faut savoir que quand on est animateur dans les quartiers on a un lien assez particulier avec ces jeunes qui sont finalement nos petits frères, nos petites sœurs. Quand il leur arrive du bien, on est heureux pour eux. Et quand il leur arrive des choses aussi tragiques, on est tristes comme si c’était des membres de notre famille ». Beaucoup appréhendent la reprise des activités de loisirs de ce lundi.

Christophe Hamza aussi, tient a rappeler  la dimension familiale qui règne au sein de son club, et particulièrement avec son protégé, Aymane : « même en dehors des cours, il m’appelait, m’envoyait des messages. Le contact n’a jamais été rompu avec ce petit, même pendant cette période covid ».

Les violences sont beaucoup plus graves qu’il y a 15 ans. 

Le coach rappelle que le jeune homme de 15 ans baignait dans un environnement familial « cadré et bienveillant ». Une situation confirmée par ses proches. Comme tous les adolescents de son âge, Aymane avait parfois des coups de mou à l’école et son père n’hésitait pas à appeler Christophe : « je lui envoyais des messages en lui disant de faire attention, que s’il ne travaillait pas bien à l’école, je ne l’inscrirai pas à la prochaine compétition », confie l’entraineur.

Christophe répète que tout ce qui s’est passé est complètement fou et surréaliste : « il y avait aussi de la violence quand j’avais 15 ou 20 ans, mais ça se réglait à mains nues, on n’ôtait pas la vie. Je ne dirais pas qu’il y a plus de violence qu’avant, par contre elle prend des proportions beaucoup plus grandes, les violences sont beaucoup plus graves », regrette le coach de 53 ans.

Alors que l’enquête a été confiée à la police judiciaire de Seine-Saint-Denis, deux frères, dont un âgé de 27 ans, se sont présentés au commissariat de Bobigny, le samedi 27 février, au lendemain du drame. Les deux ont été placés en garde à vue pour assassinat.

Plus tôt dans la semaine, deux adolescents mineurs ont eux aussi été tués dans leurs quartiers en Essonne à la suite de violences entre jeunes. Aymane, dans sa maison de quartier n’a pu être protégé. Trois drames en moins d’une semaine, qui interrogent la responsabilité collective, sur une violence banalisée qui ne cesse d’emporter des enfants des quartiers populaires, dans l’indifférence politique.

Sarah Ichou et Samira Goual

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Des permis de conduire pour les mères de familles des quartiers

Parkours : François Gautret, archiviste du hip-hop français

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Dans ce nouvel épisode de Parkours, François Gautret, enfant du 19e arrondissement parisien devenu commissaire d’exposition, nous raconte son rapport à l’école, au hip-hop et à l’archive. Entretien. François grandit dans le 19e arrondissement de Paris, entre Riquet et Stalingrad. Il découvre le mouvement hip-hop très jeune. Il commence d’ailleurs par le parkour, avant de […]

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